Nantes, années 1960. Roland Cassard, assis au comptoir d'un café, expose ouvertement les raisons de son vagabondage : trouver un sens à sa vie et sortir de son ennui existentiel. Lola, danseuse dans un cabaret, fréquente Frankie, marin américain, mais attend son unique amour, Michel, père de son fils. Deux amis d'enfance qui se sont perdus de vue et qui habitent la même ville, dans l'attente d'un passage sur le chemin de leur vie, qui les mènerait vers un autre part. Tous deux pensent à l'ailleurs, elle à partir aux Etats-Unis, seule avec son fils, lui à prendre le large au moins jusqu'à Johannesburg, où le mènerait une affaire plutôt louche.
Lola concentre dans une ville, Nantes, et ses personnages, de belles réflexions sur le temps qui passe, le désir d'ailleurs et notre bras le corps avec le hasard. Le temps qui passe, c'est la longue absence de Michel, les sept années que l'a attendu Lola. C'est aussi le dialogue intergénérationnel: l'enfance représentée par le fils de Lola et Michel, l'entre-deux dans lequel se trouve Cécile, la jeune fille bientôt femme et les enfants amis devenus adultes que sont Roland et Lola. Un formidable jeu de mise en abyme où les destins se rejouent et se déjouent.
Le désir d'ailleurs qui anime les personnages est manifeste. Il y a la désir transformé en réalité par Michel, parti chercher fortune loin de Nantes. Un ailleurs toujours teinté d'exotisme: à la fois ancré dans la ville - à l'image du cabaret où se produit Lola, L'Eldorado - et projeté dans le nom de Chicago, Illinois, d'où est originaire Frankie. A la fois tangible car au coin de la rue, au beau milieu du passage Pommeraye, mais éphémère comme les aquarelles de la mère de Michel. Un peu aussi comme les marins américains séjournant à Nantes avant de repartir. L'attraction de l'ailleurs est aussi construite envers l'étranger et sa langue chantante. La raison pour laquelle même si elle avoue n'avoir rien compris à l'américain de Frankie le jour de son anniversaire à la fête foraine, Cécile se hâte d'apprendre au mieux l'anglais.
Enfin Lola est la symbiose entre la croisée des destins et des films de Jacques Demy. Il regorge de hasards fortuits, coups du destin qui lient les personnages, comme celui de ladite Lola et de la jeune Cécile au détour d'un prénom et d'un coup de foudre le jour de leurs quatorze ans. Les résonances sont très fortes avec les autres films de Jacques Demy: on retrouve en effet Roland Cassard dans les rues de Cherbourg (Les Parapluies de Cherbourg, 1963), sur le même air musical de Michel Legrand, ou encore Cécile dans les rues de Los Angeles (Model Shop 1969). La scène de la fête foraine noire de monde sur les bords de la Loire n'est pas sans rappeler la place de Rochefort, investie par forains et habitants (Les Demoiselles de Rochefort, 1967).
Un film où l'on se perd avec délice et vertige dans la caméra de Jacques Demy, conteuse de destins accomplis, refoulés ou en devenir. Un passage obligé de la filmographie du réalisateur, comme l'est le passage Pommeraye à sa ville natale, Nantes.