Adaptation du roman de Joseph Conrad, Lord Jim fût à son époque, un des plus gros échecs de la Columbia. Le film ne trouva pas grâce aux yeux de la critique et a même été descendu par certains de ses interprètes, à l'instar de James Mason qui le considérait comme un des ratages de sa carrière. Pourtant, force est de constater que le film de Richard Brooks offre un grand moment de cinéma d'aventure et de divertissement tout en traitant de thèmes philosophiques sans en faire des tonnes.

Jim, officier de marine, rêve d'aventure et de gloire, s'imagine sauvant la veuve et l'orphelin et espère gagner le respect des hommes qu'il commande. C'est lorsque son navire est sur le point de sombrer qu'il se rend compte du fossé entre ce qu'un homme souhaiterait être et ce qu'il est réellement. Pris par la panique, il abandonne le navire et son équipage et connaît ensuite le déshonneur. Devenu une loque tentant, dans une trajectoire christique, de regagner son propre respect vis à vis de lui-même, il a l'occasion de prouver son courage en sauvant une cargaison de poudre d'un acte de piraterie ce qui lui vaut de s'attirer la sympathie d'un homme, Stein, qui lui confie la mission de porter armes et poudre à un peuple soumis au joug d'un homme devenu fou en pleine jungle Cambodgienne. On pense inévitablement à Au cœur des ténèbres, autre roman de Conrad dont Coppola tirera son Apocalypse Now, et le personnage du général, campé par un Eli Wallach en grande forme n'est pas sans évoquer le colonel Kurtz.

Richard Brooks signe un film d'aventure flamboyant magnifiquement rythmé. Malgré les 2h35 du film, il n'y a guère matière à l'ennui grâce à une très bonne gestion des péripéties et grâce à une évolution psychologique de Jim parfaitement construite, passant de loque à demi-dieu avant que son passé ne refasse surface et ne soit utilisé contre lui. On aurait pu craindre que la lâcheté de Jim ne rende ce personnage guère sympathique et empêche ainsi l'adhésion à son parti. Il n'en est rien puisqu'en s'interrogeant sur le fossé entre ce que l'on voudrait être et ce que l'on est réellement, Brooks (et Conrad) nous rend immédiatement son personnage attachant et l'on est avec lui jusqu'au bout. Peter O'Toole, encore marqué du sceau de Lawrence d'Arabie apporte toute sa classe, son flegme à ce personnage complexe.

La mise en scène offre également de grands moments de cinéma. Tout le passage dans le camp du général, avec son lot de tortures et d’exécutions d'indigènes, baigne dans une atmosphère interlope, où suinte la sueur et la crasse, le tout soutenu par une bande son particulièrement travaillée et réussie faisant ressentir la folie qui a gagnée les lieux. Brooks compose de très beau plans et son choix de tourner en décors naturels apporte un cachet supplémentaire indéniable au film. On regretterait presque qu'il ne se lâche pas plus sur les expérimentations techniques : le plan où la caméra commence à tourner circulairement autour d'Eli Wallach au cours de la fusillade est à ce titre extrêmement frustrant tant il semble avorté. Enfin, le dernier acte du film, où apparaît James Mason, méconnaissable et extraordinaire comme toujours, possède une ambiance à la lisière du fantastique, baignant dans la brume et la nuit, absolument géniale.

Du grand cinéma, grand public, très divertissant tout en étant profond dans ses questionnements et qui offre un final osé pour l'époque et qui surprend encore par sa radicalité. A ne pas manquer.
ValM
9
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le 17 août 2014

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2 j'aime

ValM

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