MA’ROSA (10,7) (Brillante Mendoza, PHI, 2016, 110min) :


Ce drame familial poisseux suit la vie quotidienne d’une commerçante maman, de quatre enfants, tenant l’épicerie « Rosa » dans les bas-fonds de Manille (capitale des Philippines). De retour à Cannes cette année, le réalisateur philippin Brillante Mendoza, reconnu mondialement depuis le singulier Serbis (2008), poursuivant avec le violent Kinatay (récompensé en 2009 à Cannes du Prix de la mise en scène) et l’émouvant Lola la même année notamment présente son nouveau drame et repart honoré de la compétition cannoise (à la surprise générale) avec le Prix d’interprétation pour Jaclyn Jose. Dès les premières images le réalisateur nous présente le quotidien de Rosa et l’on comprend de suite que nous assistons sous nos yeux à une vie de survie au cœur d’une épicerie sari-sari (où l’on trouve de tout…) et où l’on vend même de la méthamphétamine ! La mise en scène colle aux pas de cette mère courage, le tonnerre gronde, les nuages s’amoncellent, la pluie s’abat et la caméra à l’épaule par de longs plans séquences va suivre cette existence bancale faite de boue. Le réalisateur prend le parti pris de cette immersion totale en ajoutant à sa mise en scène une photographie d’une saleté disgracieuse aux gros grains, reflétant l’existence misérable et dégueulasse des protagonistes pris sous sa caméra parkinsonienne. L’auteur privilégie malheureusement l’action sacrifiant ses personnages, avec des floues, des mises aux points gênantes, nos yeux ne sont pas à la fête et cet angle-là ne privilégie aucunement l’empathie. Une réalisation digne d’un char d’assaut ! Dommage car la mise en scène offre des moments de fulgurances intéressantes reflétant assez bien l’atmosphère de la ville avec un réalisme quasi documentaire sur la grande pauvreté. Brillante Mendoza utilise une lumière sans artifice et une prise de son direct pour une meilleure immersion dans ces quartiers démunis. Tout un dispositif de mise en scène assez habituel chez ce cinéaste mais ici, cela a tendance à plutôt alourdir le propos. On assiste par ce biais à toutes sortes de combines pour survivre, les billets passent de mains en mains et le flou entre le Bien et la Mal règne aussi bien chez les habitants que chez les policiers corrompus, un cercle vicieux de « la balance » va se mettre en place sous un ciel de désolation. L’imagerie dégueulasse et la narration oppressante vont trouver paroxysme lors de la scène de l’interrogatoire assez éprouvante, dérangeante, bien trop longue et manquant singulière d’intelligence scénaristique. Cette scène centrale finit de faire basculer le film du mauvais côté de la farce tant la représentation de la violence verbale et physique semble grotesque. Au lieu de transcender le réel, de donner de la dignité à ses personnages par ces choix artistiques Brillante Mendoza abaisse ces personnages par des scènes avilissantes (prostitution du fils, fille tombant dans le caniveau après insultes…). La narration balbutie trop régulièrement avec des scènes répétitives lors de cette intrigue pratiquement filmée en temps « réel », le temps d’une journée où l’ultra réalisme brut engendre que rarement notre intérêt sur le sort de ces individus. Une œuvre manquant étonnamment d’émotions à cause d’un dispositif qui s’enferme sur lui-même et étouffe les belles promesses des vingt premières minutes. Un drame social embourbé relevant juste la tête sur un dernier plan magnifique sur le visage émouvant de Ma’Rosa. Un portrait de « débrouillarde » interprétée par une Jaclyn Jose assez humaine, parfois touchante mais inégale eu égard à certaines inconsistances dramaturgiques et dont on peut objectivement mettre en doute la récompense cannoise « subtilisée » à défaut à la formidable Sonia Braga dans Aquarius, l’impeccable Isabelle Huppert dans Elle ou encore la fantasque Sandra Hüller au sein de Toni Erdman. Cette dénonciation de la corruption de son pays s’avère décevante et bien mineure par rapport aux précédentes meilleures productions de ce réalisateur prometteur et photographe miroir ouvrant une fenêtre sur un archipel peu représenté cinématographiquement. Venez plonger avec abnégation dans l’univers injuste et bruyant de Ma’Rosa. Pesant, laborieux et décevant.

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le 30 nov. 2016

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