Tout le monde connaît Shakespeare et pourtant, près de quatre siècles après sa mort, son oeuvre ne laisse pas de susciter l'inspiration auprès des artistes et notamment des cinéastes.


Cette critique contient des spoilers.


Macbeth est donc une nouvelle adaptation du poète anglais, menée au scénario par Jacob Koskoff, Michael Lesslie et Todd Louiso et à la réalisation par Justin Kurzel dont c'est le deuxième long-métrage.


Le film est avant tout une oeuvre visuelle et dispose en effet d'une photographie splendide qui met en valeur, dans des plans que l'on voudrait plus long - hélas ! -, les paysages époustouflants de l'Ecosse (qui ne sont pas sans rappeler ceux du Seigneur des Anneaux) et qu'égale la richesse des costumes tantôt ténébreux tantôt chatoyant et le stupéfiant éclat des peintures de guerre ou du maquillage des femmes. Les cadres sont sublimes et parfaitement calibrés : tantôt symétrique, tantôt panoramique, se posant parfois à l'aplomb, autant de combinaisons destinées à imprimer sur nos rétines le spectacle inouï qui se déroule sous nos yeux.


Tout cela est conduit avec un sens de la mise en scène extraordinaire : regardez par exemple le dialogue qui précède l'exécution de Banquo : Macbeth et lui sont définitivement séparés comme l'indique le champ/contre-champ, derrière Banquo, filmé en légère plongée, se tient son fils, signe qu'à sa mort sa postérité vivra, par contre derrière Macbeth qu'on voit en contre-plongée, il n'y a que le ciel, et une partie du château qu'il habite désormais, ceci soulignant la stérilité de sa lignée.


On admirera également la lumière de ce film : une lumière telle qu'on en vit peu cette année. Les flammes, la brume, la lumière d'une église sont restitués avec l'écran dans des textures presque irréelles tant elles sont palpables. Et puis l'étalonnage des couleurs est tout bonnement merveilleux. Le film suit ainsi une progression chromatique tout au long du film. Quasiment gris au début, le film devient bleu, blanc, puis orange lors du combat final avant de virer au rouge qui fait ici écho au sang versé dans le film.


Macbeth nous plonge sans préliminaire au milieu du Moyen-âge. Il s'ouvre ainsi sur le plan d'un enfant mort qu'on s'apprête à enterrer : l'enfant de Macbeth. Dès son commencement, le film se place sous le signe de la Mort. Outre la reconstitution des décors et costumes, c'est à la vue des hommes que nous sommes transportés à cette époque. Les visages, bien souvent filmés, en gros plan nous montre des visages usés, couverts de plaies et de cicatrices, des peaux abîmées par les frimas de l'Ecosse. Le soir, on s'endort entre deux feux après avoir creusé un trou en terre. Les morts sont nombreux. On sent que la vie y est dure.


La vie nous est également apportés par les acteurs qui jouent tous de façon brillante et surtout d'une façon qui me plaît. C'est avec excès qu'ils donnent naissance à leurs personnages excessifs : à l'écran, je ne vois plus Fassbender jouer Macbeth, je vois Macbeth ; je ne vois plus Marion Cotillard, Sean Harris, Pappy Considine ou David Thewlis, je vois Lady Macbeth, Macduff, Banquo et le roi Duncan. Tout ces personnages aux caractères ambigus s'animent devant nous, dans de beaux plans séquences qui laisse le temps aux personnages de surgir.


Cette hybris est mis en exergue par des dialogues très puissants empruntés à Shakespeare (et c'est là tout son génie : vouloir ainsi représenter les passions les plus folles des hommes - ce qui le fit d'ailleurs admirer par les Romantiques) ; des dialogues qui, s'il ne sont pas réalistes, n'en sont pas moins pertinents et nous donne à comprendre les tourments des esprits. La poésie du langage à elle seule vaut le coup d'être entendue, surtout lorsqu'elle est soulignée par des acteurs de grand talent.


Shakespeare, par l'intermédiaire du réalisateur, cherche en effet à nous faire comprendre à quel point le pouvoir corrompt le cœur des hommes, comment un homme brave tel que Macbeth a pu ainsi développer une telle insanité. Le film nous le fait entendre de diverses manières. Dès la scène de bataille, filmé comme il se doit dans un style emprunté à Ridley Scott et ponctué dans ses "short cuts" de ralentis esthétiques (à la 300), on découvre un Macbeth tourmenté. La bataille est à peine finie qu'il aperçoit déjà les sorcières qui le regardent. Ces sorcières sont pour moi l'allégorie de l'ambition qui se manifeste à Banquo et Macbeth sous la forme d'une hallucination. Et lorsque la bataille est terminée, c'est bien ce dernier qui se dirige vers elles pour les questionner. Elles vont alors lui suggérer ce que lui même désire en son for intérieur ; après une telle bataille, qui ne voudrait pas prétendre au trône d'Ecosse, et Banquo lui-même y projette son désir de voir sa lignée succéder à son supérieur et ami Macbeth.


Cette révélation de son ambition suggère à Macbeth le meurtre qui pourrait faire de lui le roi d'Ecosse, et sa femme le motive en cela, car elle aussi convoite les richesses et le luxe de la cour. Au moment de passer à l'acte, c'est une hallucination qui le guide dans l'accomplissement de son cruel projet. Cependant, une fois la besogne faite et le trône dans sa main, et tandis que Lady Macbeth semble satisfaite de sa nouvelle situation, Macbeth, torturé par le remord et l'ambition, craint de se voir déposséder de sa situation. Il craint et il veut plus : l'idée que les descendants de son ami lui succède lui est insupportable ; les hallucinations foisonnent et ses idées délirantes de persécution se développent, ce qui l'amène à multiplier ses exactions criminelles.


L'esprit torturé de Macbeth est ainsi le moteur de la tragédie et le conduit jusqu'à la mort. On notera que cette folie était déjà présente en germe dans la tête insane du guerrier. En effet, on aperçoit dès le début du film, un bouton érubescent au niveau de sa carotide gauche, lequel se transformera au fur et à mesure en une croûte rêche et qui deviendra pour finir une sorte de pustule quasiment abcédée.


Mais ce qui me plaît dans ce film, c'est la véritable fusion de tout ces éléments : comment ne pas citer ces ralentis qui sembleraient inutiles s'il l'on ne comprenait pas qu'ils symbolisent le récit d'un messager opérant par sa voix la description figée d'une bataille, comment ne pas citer ces monologues récité en regard-caméra, ces travelling dans la forêt, ces plans-paysages dans les vallées écossaises et surtout cette ultime bataille où dans une unique élan se fonde la brume, les cendres et la neige ? Et tout cela sublimé par une magnifique musique signée Jed Kurzel qui exploite avec toute la profondeur possible le pouvoir suggestif des cordes (ce qui m'a fait pensé à Requiem for a dream mais sans la partie électronique).


Ce film me plaît pour ce qu'il représente, ce qui film me plaît parce qu'il est hermétique, et qu'importe ceux qui disent que le film ressemble à un jeu vidéo - ce que je réfute -, que Fassbender joue mal - ce que je réfute, que Marion Cotillard en Lady Macbeth ce n'est pas croyable - ce que je réfute -, et d'ailleurs je les plains car ils sont incapables de s'enthousiasmer ; ce film me plaît car il demande qu'on le déteste ou qu'on lui voue un culte !


Ce film n'est pas destiné à faire l'unanimité : il n'offre au spectateur aucun compromis ; il adopte des partis-pris et s'y tiens jusqu'au bout ; il se présente au spectateur qui est libre d'y voir ce qu'il désire. Ainsi, on ne saurait juger la réussite de ce long-métrage qu'à l'aune du spectateur. Et lorsque l'on parvient à oublier la notion du temps, lorsque l'on a l'impression de voir Macbeth se mouvoir sous nos yeux, et que l'on ne se soucie plus de savoir si cela est vrai et ceci est faux, bref que l'on ressent au visionnage quelque chose d'unique, alors c'est que le film est parfaitement réussi...

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le 25 nov. 2015

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Quentin Pilette

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