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Une histoire pleine de bruit et de fureur.

Macbeth est une des onze tragédies de Shakespeare et probablement la plus dérangeante. Je m’explique, prenez Othello par exemple, il va finir par tuer sa femme car il va être trompé et rendu fou de jalousie par une personne qu’il jugeait de confiance, prenez Hamlet, il va se détruire et détruire toutes les personnes autour de lui en cherchant à se venger de l’assassin de son père. À chaque fois le personnage principal est un être noir et torturé dès le départ de l’intrigue. Pas Macbeth.


Macbeth c’est le héros absolu, c’est Maximus dans Gladiator, c’est Tom Cruise dans un film produit par Tom Cruise, c’est le général le plus fidèle des armées du roi Duncan qui vient de glorieusement remporter une bataille décisive quand le destin lui tombe sur le coin de la gueule. Trois sorcières lui prédisent qu’il deviendra sire de Cawdor puis roi d’Écosse, enfin elles se tournent vers son frère d’armes Banquo en lui annonçant qu’il aura une descendance royale sans être roi lui-même. De retour du combat la première partie de la prophétie se réalise, Duncan le nomme sire de Cawdor. Poussé par sa femme, dévoré par l’ambition, Macbeth, le héros de la nation, va assassiner son roi. Couronné, il n’aura d’autres choix pour conserver son trône acquis dans le sang que de continuer à tuer tous ceux qui menacent son règne précaire, sombrant dans la paranoïa, le remords, la folie.


C’est l’histoire d’un héros qui embrasse la voie du mal.


Autant dire qu’au théâtre c’est déjà un grand moment, une fresque épique dans l’Écosse du XIème avec en sous-texte réflexion métaphysique sur la nature mauvaise de l’homme perdu par la quête du pouvoir. Alors quand Orson Welles en 1948 prend le parti de proposer un Macbeth qui oublie le théâtre pour devenir purement cinématographique en revenant à l’esprit sombre, presque maudit de la pièce, on pensait que la messe était dite. Oui, il y a eu d’autres adaptations, la transposition au Japon médiéval de Kurosawa ou la version violente de Polanski dans le genre du film de cape et d’épée, mais arrivé en 2015 on pouvait raisonnablement penser que Macbeth avait tout connu et que plus rien ne restait à dire sur ce texte mythique.


Michael Fassbender, Marion Cotillard, Justin Kurzel.


On commence par Fassbender, révélé par Steve McQueen (Hunger puis Shame pour ses meilleurs rôles), l’acteur germano-irlandais formé au théâtre à Londres a tout d’un acteur Shakespearien. Mais à la différence du théâtre, ici Macbeth joue la carte de la vérité. Un mois et demi de répétition avant le tournage ont été nécessaires sur le seul travail du texte. Relever le défi de respecter la rigueur, la dureté, des vers originaux s’est révélé payant. Je n’ai pas d’autres exemples où le texte fait aussi vrai, aussi peu récité. Fassbender incarne le roi maudit avec une force incroyable, on a un Macbeth tour à tour guerrier, déterminé, hanté par ses crimes, perdu, trompeur, glorieux et pathétique à la fois. Le film se distingue en faisant ressortir des facettes peu exploitées du rôle : personnage détruit par la guerre, mari aimant mais condamné à ne pas fonder de famille. Fassbender l’avoue en interview, son jeu a été le plus épuisant de sa carrière, chaque fin de scène lui laissait l’amère impression qu’il lui restait des dizaines de façons de l’interpréter. Mais le résultat est fascinant, une prestation qui fera date.


Sa contrepartie féminine maintenant, Marion Cotillard en Lady Macbeth, s’en sort avec les honneurs pour un des rôles féminins réputé parmi les plus difficiles qui soit. Comme son homologue masculin, on a un personnage au départ déterminé à prendre le pouvoir pour ensuite regretter ses actes au point d’en perdre la raison. Si cette actrice à la côte à Hollywood, j’ai été sceptique en voyant le projet sur papier, au final son jeu est exemplaire. L’idée de prendre une française pour le rôle permet même de mettre l’accent sur son personnage, son côté étranger dans ce milieu 100% écossais la rend quelque part unique et remarquable. Une bonne actrice exploitée avec brio.


Enfin on en arrive au cœur du film : Justin Kurzel. Après avoir vu son premier long-métrage, les crimes de Snowtown, je ne savais pas trop ce qu’il allait pouvoir apporter à Shakespeare, puis cela m’est apparu clairement. Les crimes de Snowtown, passé relativement inaperçu en salle malgré d’excellentes critiques, est tiré d’une histoire vraie, celle d’un homme qui arrive dans la vie d’une mère célibataire et de ses trois fils dans une banlieue sordide d’Australie. L’homme devient vite un élément clef de la vie locale et un père de substitution pour l’un des enfants qui va aussi se rendre compte qu’il est un des pires meurtriers que le pays ait connus. D’une froideur anxiogène, on assiste au spectacle d’un homme dangereux et charismatique qui dupe toute une communauté. Macbeth n’est pas loin, mais là où Snowtown joue (à raison) la carte de l’intime et du naturalisme, Macbeth ressort dans toute sa splendeur baroque. Les scènes de bataille, forcement éludées de la pièce, y font beaucoup mais on est loin d'un simple délire esthétique rappelant les 300 (qui affichait aussi Fassbender).


Les paysages (le film a été tourné en décor naturel pour les scènes d’extérieur) écrasent les personnages comme s’ils annonçaient le destin réservé à Macbeth, les images sont composées comme des tableaux, incluant un énorme travail sur des couleurs aux plans tous signifiant. Kurzel applique ici une prodigieuse leçon de cinéma, rendant chaque plan signifiant et travaillé pour donner au film l’adjectif de viscéral qui lui va si bien. De sa première à sa dernière seconde, le monde de Macbeth est un personnage à part entière, annonçant à chaque image toute la cruauté du destin que Shakespeare a réservé à son héros.
Prenez la scène du couronnement, plongée dans les ténèbres où les rais de lumière n’arrivent pas aux personnages, prenez sa représentation de la bataille finale ou Macbeth en arrive à un dénuement total… En fait vous voulez savoir quand je suis tombé amoureux de ce film ? À sa première image.


La pièce s’ouvre sur les trois sorcières qui annoncent les événements qui vont suivre, dans le film on a au contraire un plan sur l’enterrement d’un enfant mort, deux pièces sur les yeux avec plus de la moitié de l’image au-dessus montrant simplement de l’herbe. C’est l’enfant de Macbeth, les pièces sur les yeux représentent autant son aveuglement que son passage dans l’autre monde, l’espace au-dessus de lui représente l’écrasement face à un monde qui lui est supérieur – Dieu ? – que l’on va retrouver comme un leitmotiv à plusieurs endroits du film où Macbeth apparaît au milieu de la moitié inférieure de l’image, écrasé par les éléments au-dessus de lui. Kurzel commence donc une adaptation de Shakespeare par cinq minutes de pure narration visuelle sans texte et pourtant va y placer tous les thèmes de la pièce.


Beaucoup de critiques n’ont pas reconnu la pièce de Shakespeare dans ce film, je suis d’accord avec eux, c’est une œuvre de Cinéma dans tout ce que cet art à de majeur, à des lieux du théâtre sans pour autant renier ses origines. Une adaptation aussi ravageuse qu’intelligente, pour moi un des meilleurs films de l’année si ce n’est le meilleur.


Article issue de : http://cinematogrill.e-monsite.com/articles/sorties/macbeth.html#wre3xtUS3LicjvSF.99

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le 13 nov. 2015

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