Petit court-métrage deviendra grand !

Deux ans après un court-métrage redoutablement efficace, Rodrigo Sorogoyen relève le défi d'ajouter une heure à son court, le transformant ainsi en long. Madre version court-métrage c'était un plan séquence en huis-clos tourné à l'intérieur d'une petite maison modeste. On découvrait Elena, jeune maman au téléphone avec son fils de six ans alors en vacances sur une plage avec son père. Au sein de ce petit espace, nous assistions transis à l'asphyxie d'une mère démunie face à l’enlèvement de son propre enfant. Bloqués dans ce huis-clos, nous devenions en quelques minutes emprisonnés et mis à distance de l'action, tout comme cette mère désemparée et impuissante face à son fils qui disparaît à des centaines de kilomètres d'elle. Devant la qualité de ce format court, on se demande donc pourquoi vouloir relever le défi de donner une suite à cette histoire et surtout, est-ce réussi ?


Le film reprend l'intégralité du court-métrage en guise de scène d'ouverture et continue en abandonnant les deux grands choix de réalisation qu'étaient le plan-séquence et le huis-clos. Sorogoyen donne en effet ici la part belle au plan large et ouvre son champ au maximum dans une volonté de capter une forme d'infini. Là où l'on peut imaginer que l'ouverture du cadre serait libératrice après avoir été enfermés, presque de façon claustrophobique par le huis-clos, on se rend compte que c'est tout le contraire. Ici extérieur et liberté sont synonymes d'angoisse. Au centre de cette immensité, Elena, Marta Nieto, superbe mère inconsolable, continue sa vie sans jamais être réellement là. Perdue au milieu de ces grands cadres, cette dernière flotte dans l'espace plus qu'elle ne vit vraiment, sensation qui se renforce par l'utilisation récurrente d'une légère contre-plongée. Marta Nieto capte la caméra avec une facilité déconcertante et son jeu tout en finesse nous laisse entrevoir l’intériorité fissurée de son personnage. Elle n'est plus qu'une enveloppe physique amère qui glisse sur cette image aux tons pâles, ces ambiances végétales et naturelles, dans lesquelles elle ne trouve aucune attache malgré leur aspect tranquillisant.


On se rend rapidement compte qu'Elena subit tant bien que mal l'écoulement inéluctable de la vie, incapable de trouver sa place, même dix ans après le drame. Elle vit à proximité du lieu de disparition de son fils et l'imagine partout. Sa paranoïa est telle que lorsqu'elle fait la rencontre de Jean, jeune homme aux bouclettes brunes, elle projette sur lui l'image de son propre fils. Un lien se crée alors quasiment immédiatement entre les deux. Elena, aveuglée par le manque, se laisse transporter dans cette illusion. Le lien qui se tisse entre eux se fait de plus en plus ambigu au fil de leurs rencontres. Hantée par la perte de son fils, Elena ne se rend même pas compte de la tournure que prend leur histoire. Se dévoile ainsi le personnage d'une femme brisée, qui n'a pas su se reconstruire après la perte de son enfant. Un personnage en dysfonctionnement qui mélange tout le peu qui lui reste dans la vie et casse ainsi des codes qu'il ignore désormais. En côtoyant un groupe d'adolescents, Elena ne cherche plus à retrouver son statut de mère mais aussi sa jeunesse. Elle se laisse porter au fil des bals de villages et des soirées alcoolisées sur la plage, retrouvant petit à petit une joie de vivre communicative. Mais l'illusion ne dure qu'un temps et finira par se briser, ramenant violemment Elena à la réalité.


De plus, Sorogoyen ne délaisse pas l'attention qu'il avait porté au rythme de son court-métrage. La tension qui grimpait au fil des minutes dans la version courte se retrouve ici par touches momentanées, le temps de certaines scènes, suivant le même schéma que le court-métrage. Perdus dans la lenteur du film, la répétition de ces instants d'intensité rappellent la violence de la scène d'ouverture, évoquant ainsi la fragilité du personnage d'Elena qui menace de replonger dans le tourment à tout instant.


Sorogoyen nous offre donc ici une proposition tout à fait pertinente comme suite de son court-métrage, en donnant à son long la force de son court. Tout d'abord par un film à l'opposé de ce que l'on aurait pu imaginer : une enquête haletante sur un enfant disparu. On connaît en effet sa maîtrise du thriller, démontrée avec Que dios nos perdone, et ce genre semblait la réponse logique à un tel début d'histoire. Mais le réalisateur délaisse la tension au profit d'une recherche approfondie sur l'intériorité d'une femme brisée qui a perdu son dessein essentiel : celui d'être mère. Cette proposition là est dérangeante et peut-être même un peu dure à digérer mais elle est justifiée. Avec Madre, Rodrigo Sorogoyen nous entraîne donc au plus près de son personnage principal, nous plaçant ainsi face au bouleversement d'une mère perdue et détruite. Elena devient inévitablement au fil de l'histoire, l'héroïne d'une poursuite impossible : celle de son fils. Cette quête vaine se retrouve à l'image par une réalisation flottante et une image qui prend en son sein toute la délicatesse de Marta Nieto et capte les infimes nuances de son jeu. Une belle réussite.


Critique à retrouver sur : http://www.planete-cinephile.com

Mariannemqt
8
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le 17 juil. 2020

Critique lue 700 fois

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