Il y a bien des moments pour se laisser porter, car Madres paralelas ne brille pourtant pas par une créativité débridée. On peut regretter d'office, les envolées parfaitement excessives de ses actrices et Almodovar à l'instar d'une Rossy de Palma ici, au repos, semble loin de la fougue de ses débuts.
Exit l'art, ou les atermoiements au masculin de son dernier Douleur et Gloire, pour un seul léger clin d'œil au théâtre, avec le beau personnage de Aitana Sanchez-Gijon, actrice en mal de reconnaissance, mère démissionnaire et future grand mère inquiète. Le thème de la responsabilité parentale se croise alors, avec deux portraits de femmes malmenée ou indépendante, aux hommes absents, ni trop courageux ni trop solidaires, pour donner la part belle aux personnages féminins encore et toujours volontaires, au désir d'enfant plus ou moins assumé. Ce sera leur combat à décider de leur parcours pour nous dresser la solitude récurrente à être fille-mère, de mère en fille, et fières de l'être pour l'une ou du passage radical à l'âge adulte pour l'autre.
Ce travail sur la mémoire et la filiation, est l'occasion de rappeler à un pays qui aura malmené ses enfants, et d'une Espagne qui s’engage à exhumer les victimes du franquisme des fosses communes. Un prologue qui rejoindra un épilogue pour un soupçon d'émotion certes, un peu poussif, mais dont on peut sans mal, imaginer les traumatismes et le long travail du deuil par le jeu des plus naturels des seconds rôles, et de croiser l'intime avec la grande histoire par le combat de Janis à offrir une sépulture à son arrière grand père et à tout un village. Un sujet qui divise aujourd'hui en Espagne et qui aurait mérité une plus grande place dans le récit.


Malgré des situations dramatiques et traumatisantes trop rapidement digérées, Almodovar offre par son intrigue à tiroirs, un léger suspense, fait de rebondissements, alternant constamment entre légèreté et drame de la vie quotidienne, et nous surprend par une introduction qui use d'ellipses temporelles, dynamiques et bienvenues, nous faisant faire des bonds prodigieux dans le temps avant d'atteindre son rythme de croisière, aux moments de flottements un peu longuets. On risque donc d'être frustré du manque de folie chez notre cinéaste qui avait su nous transporter dans ses décalages jubilatoires avec talent, car s'il s'accompagne de Pénélope Cruz, toujours excellente chez lui, Milena Smit semble loin de ses jeux d'actrices survoltés, alors même qu'elle sera au centre du récit et élément déclencheur à l'évolution de son environnement, prenant la main sur la situation pendant que Janis perd pied face à une situation de plus en plus malaisante.

Sachant les thèmes privilégiés du cinéaste sur l'homosexualité ou l'émancipation des femmes, et si l'insert sur le viol collectif tombe à plat si ce n'est de rappeler à la réalité des victimes d'abus, -comme ça en passant et bien maladroitement- la relation amoureuse féminine semble plutôt cocher la case apparemment nécessaire aujourd'hui. C'est bien le bémol étonnant chez le cinéaste par une direction d'acteur des plus approximative, voire gênante. Cette idylle accessoire où le verbe donné à Ana convoque plus aisément la crise adolescente que la grande passion amoureuse est plutôt malvenue.


Sans avoir la force de ses précédents métrages, l'humour est toujours présent chez Almodovar et on aura le sourire aux lèvres lors d'une scène sur la légitimité d'enfanter ou non, nous renvoyant aux dialogues de sourds et d'échanges croisés de soap espagnols, caméra, expressions et teintes floutées à l'appui. Et lorsque l'on s'interrogera du physique improbable d'un nouveau né et du refus de paternité, on sera bien les seuls à voir qu'il y a anguille sous roche et que la suite va nous réserver quelques surprises, et nous permet finalement d'être toujours surpris par le déroulement de son intrigue.


A défaut de grands sentiments exacerbés, on y retrouve avec plaisir, des rapports humains qui malgré un certain nombre de non dits, se révèlent d'une simplicité réconfortante. On y appréciera en tout cas, ses décors, ses bars de quartiers, qui donneront envie de s'y poser, et de visiter Madrid, ses beaux appartements aux couleurs vives, où chacun se démène, se cherche, s'évite et se retrouve pour boucler la boucle par un retour à la sérénité.

limma
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le 9 avr. 2022

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