Voilà un film qui avait tout pour plaire et tout pour réussir ce qu'il avait entrepris.
Raconter l'histoire vrai d'une reine qui, pendant la révolte des Cipayes au milieu du XIXème siècle, mènera une partie de la rébellion contre l'empire britannique (officiellement la Compagnie des Indes Orientales, mais qui s'est jamais laissé avoir par cette façade, même à l'époque?).

L'histoire est vrai, elle est épique et inspirante, féministe sans se forcer et avec de belles thématiques.
Et pourtant le film tombe à plat.
Il manque tout d'abord de subtilité et ensuite de réalisme.
Si des récits datant de périodes antérieures se prêtent à l'interprétation légendaire, il est plus difficile de l'admettre d'un récit datant de 200 ans à peine. Les récits, qu'ils soient francs ou pas, peuvent être recoupés et on a tout de même une meilleure visibilité sur les évènements. Difficile de faire de la mythologie quand on a des photos des personnes et pas des gravures ou des peintures.
Et ici Manikarnika, plus connue sous son nom de Reine, LakshmiBai, est traitée comme un être de légende. Elle est parfaite, sans une faiblesse, sans un défaut, sans un doute. Et face à elle, il n'y a que des démons implacables.
Certes l'occupation britannique par la Compagnie de Indes était loin d'être tendre mais tous les officiers anglais n'étaient pas des tarés psychopathes et dégénérés avec un immense complexe de supériorité (encore que pour celui là, c'est peut être pas tout à fait faux). Chose importante, les britanniques étaient très prudents dans leurs rapports avec les Maharadjas et justement attendaient une brèche dans la succession pour annexer les royaumes, ils n'antagonisaient pas ceux-ci en les forçant à les saluer bien bas tels des monarques. Il faisaient très attention à maintenir l'illusion qu'il n'étaient pas en conquête mais se présentaient comme des sauveurs (on est autorisé à rire de toute cette hypocrisie).

Manikarnika est une toute jeune fille qui dès l'introduction nous est présentée comme un être au destin exceptionnel. Dès sa naissance, elle est destinée à de grande choses et son nom est celui du Ganges. Lors de sa première apparition, telle une déesse, elle terrasse un tigre qui terrorisait la région sans le tuer. Elle est la terre, la mère, la guerrière. Et c'est déjà trop.
Mais, en plus, elle est intelligente, aime lire, sait se battre mieux qu'un homme, elle est belle et tout le monde l'aime.
Elle est repérée par un ministre du Royaume de Jhansi pour être l'épouse du Maharadja, un homme plus intéressé par l'art et la littérature que la politique. Du côté de ce personnage, il ne lui est donné aucune substance. C'est un homme bon mais faible et mou. Il ne manque pas de courage mais il n'en fait pas preuve. Seule Manikarnika, devenue par mariage LakshmiBai, montrera courage, fortitude et rébellion.
Leur relation est montrée comme harmonieuse, voire amoureuse, mais on ne sait pas non plus pourquoi. Elle est tellement parfaite qu'il ne peut que l'aimer et il a tant besoin de sa force qu'elle ne peut, étant parfaite, que lui vouer une affection sans borne.

De l'autre côté, on nous présente le Major Gordon, représentant du Gouverneur de la Compagnie des Indes, qui passe son temps à balancer des insultes racistes, à lever le nez de façon méprisante, à ribouler des yeux, à ricaner en se tortillant la moustache et qui parle à tout le monde sur un ton au delà de condescendant. Il s'est allié au traitre Sadashiv qui veut hériter du trône de Jhansi. Il a une tête de fouine, bien sûr, et ne recule devant aucune bassesse.

Et tout est à l'avenant. A part Manikarnika, aucun personnage n'est l'objet d'aucune attention et comme elle est parfaite, autant dire qu'elle ennuie profondément.
Gordon qui est son antagoniste principal pendant toute la première moitié du film est tué dans un montage sur la révolte Cipayes, dont les raisons ne sont pas expliquées et qui n'a aucun contexte.
Soudain, le vide est fait autour de Manikarnika et elle se retrouve Régente du royaume et, comme cela s'est vraiment passé, elle est mise dehors par les britanniques à la mort du Maharadja. Elle ne quittera pas le palais la nuit à pied au son des encouragements de son peuple, mais l'image est belle et finalement pourquoi pas. C'est peut être le seule moment vraiment épique de tout le film.
Et elle finit par prendre la tête de la rébellion parce que les hommes sont trop cruels et parce qu'elle est parfaite et que tout le monde la suivra.

De là, Manikarnika devient la mère ultime, la reine ultime, elle était déjà parfaite, elle deviendra divine, une déesse guerrière qui terrasse ses ennemis d'un seul coup de son épée chatoyante.
Même le nouvel antagoniste anglais, Hugh Rose (tout aussi subtilement traité) rêvera d'elle en Kali, la déesse destructrice.

Bref, ce film ressemble fortement à un énorme trip d'ego pour Kangana Ranaut. Elle co-réalise celui-ci avec Krish Jagarlamudi. Elle s'est réservée, et elle a bien raison, le rôle iconique de la reine guerrière et elle va en tirer tout les avantages possibles. Malheureusement, si le scénario et la mise en scène manque de subtilité quant au personnage, Kangana Ranaut aussi. Elle est sereine à outrance dans la première partie et monolithique et/ou hurlante à outrance dans la seconde. Les scènes de combats sont brouillonnes et se concentrent bien sûr sur elle qui ne fait que hurler et prendre des poses.

Les batailles et les combats sont assez mal filmés, les effets spéciaux sont très moyens mais plutôt corrects pour l'Inde. Les combats rapprochés sont absolument mauvais. A aucun moment Manikarnika n'a l'air d'une guerrière invincible, les chorégraphies sont téléphonées au possible.

Il faut rajouter à tout ça une couche d'auto-analyse sur le vif très malvenue. En effet, nos héros, dans l'instant, voit déjà leur impact sur le futur. Ils se déclarent d'entrée martyres et symboles de liberté. C'est un peu facile et très maladroit.

Bref, l'imagerie tente de monter une légende trop récente en neige mais la réalisation fait plutôt spectacle de MJC.

Le reste du casting est bon malgré des personnages sans grande envergure.

C'est tout de même dommage que cette histoire d'une femme devenue reine et chef de guerre, qui a donné son nom au premier régiment féminin de l'armée d'indépendance indienne, parce qu'en plus elle a grossit son armée des femmes et filles de ses hommes en faisant des guerrières redoutables (si ça c'est un sujet de film intéressant), qui est entrée dans l'histoire de la lutte pour l'indépendance de l'Inde, qui a sa statue un peu partout, n'ait pas eu droit à un bon film mais à une caricature sans âme.

Pour enfoncer le clou de l'exagération de la caricature, le film se permet de citer à la fin les mémoires de Hugh Rose (montré ici comme un hystérique misogyne et revanchard qui fait du combat un affaire personnelle contre LakshmiBai) qui a dit d'elle : She was the most dangerous of all rebel leaders, best and bravest of all, the only man among mutineers (elle était le plus dangereux des leaders rebelles, le meilleur et le plus brave, le seul homme au milieu de mutins). Si ça c'est pas du respect et de l'admiration, je ne vois pas ce que c'est!
En tout cas, plus de respect que n'en porte le film à son histoire et ses personnages.

Anilegna
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le 23 mai 2022

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