Le Nouvel Hollywood n'est pas mort.

2005, Lisa est une jeune lycéenne new-yorkaise dont la vie bascule le jour où elle détourne l'attention d'un chauffeur de bus et provoque un accident. Pétrie de culpabilité, elle entame une poursuite judiciaire...

Difficile de parler de Margaret sans évoquer sa pénible post-production de 6 ans. Sans entrer dans les détails, tous les canards ciné consacrant des articles édifiants sur ce cas d'école, sachez que le film est passé de montages en remontages, de guerre d'egos en guerre d'egos jusqu'à une sortie en catimini aux USA. De cette histoire, personne n'est sorti gagnant sinon le film qui peut enfin s'offrir à un public.

Margaret est un film hors du temps, presque suspendu. Peut être simplement parce qu'il date de 2005. Peut être aussi parce qu'il est à contre-courant de tout ce que l'on peut voir dans le cinéma contemporain, même indépendant. Comme un pont entre le Nouvel Hollywood et les années 2000, Margaret offre une oeuvre éthérée, difficile à appréhender par son minimalisme formel (très bon low-profile) et sa lente narration mais profonde et réflexive. Sur un sujet anti-commercial au possible, Lonergan brosse le portrait de l'Amérique post-11 Septembre, une Amérique perdue, susceptible, mélangeant tout parce qu'en perte de repères, accusatrice parce qu'en besoin d'un coupable. Peignant la culpabilité, l'ignorance, l'hypocrisie ou l'avidité, le film prend son temps, déploie ses personnages et ses intrigues parrallèles au risque de perdre parfois le fil de ce qu'il raconte ou de devenir insaisissable. En cela, Lonergan s'impose vraiment ici comme l'héritier de l'idéal du Nouvel Hollywood, dans les années 1960-1970, à savoir l'application d'une certaine école européenne sur des sujets américains. L'association de Martin Scorsese (qui signa une version du montage) et du regretté Sidney Polack au projet ne suscite pas d'ambiguité sur cette filiation.

Même si il y aurait à redire sur cette position, qui à toujours été légérement snobinarde, il faut reconnaitre à Margaret son ambition d'une proposition autre, plus exigeante pour le spectateur et soulèvant des sujets peu traités dans le cinéma actuel. Margaret offre ainsi son lot de scènes édifiantes, complexes voire totalement inédites (l'accident est un petit morceau de bravoure). L'humour, inattendu mais toujours juste, offre des accents charmants à quelques scènes et la rupture de certains tabous, propre au cinéma indépendant américain, est toujours appréciable. Mais le film comporte aussi son lot de trous d'air, de scènes inutiles qu'il aurait été facile de raboter à droite, à gauche pour resserrer l'ensemble et renforcer l'impact. Quand on sait que le director's cut durait 3 heures et que la longueur du film à été le principal problème en post-prod, on s'étonne de la conservation d'une bonne demi-heure en trop et de l'ennui sporadique qu'elle suscite.

Mais le plus gros problème de Margaret reste son personnage principal complétement antipathique. Avec une héroïne aussi insupportable, il faut être très malin pour tenir tout un film et susciter identification et empathie. En début d'année, Jason Reitman y parvenait avec Young adult. Ici, rien à faire, même si Lisa métaphorise parfaitement l'Amérique, il faut tenir la distance pour adhérer à sa vision fumeuse du monde, son caractère de gamine capricieuse ou ses prises de position égoistes. C'est un peu la Monika de Bergman, l'oignon dans la soupe, celle qui flingue le film car qui à envie de suivre une chieuse. Le drame, c'est qu'elle est quasiment de chaque scène et élude donc complètement des seconds-rôles luxueux (Damon, Ruffalo, Broderick, Reno,...). Pourtant, les personnages qui gravitent autour de Lisa ont de l'intérèt, quelque chose à défendre mais, par manque d'écriture ou défaut de montage, chacun apparait accessoire et fantôche. Comme si tous ces grands acteurs, qui font preuve d'une humilité rare, étaient entrés parce qu'il y avait de la lumière. Regrettable.

Au final, malgré quelques grosses gamelles et un côté bobo agaçant (livres et opéra ont seuls droits de citer dans CE New-York), Margaret est une curiosité, une bizarrerie hors du temps mais qui trace son sillon, tient sa ligne pour offrir autre chose. Un film à la réalisation sobre, à la narration flottante, construit autour d'un petit rien car se chargeant plus d'un état du monde que d'un récit. Certains détesteront, d'autres adoreront mais Margaret ne laissera pas indifférent par sa réelle proposition cinématographique. Agaçant et envoutant à la fois...
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le 31 août 2012

Modifiée

le 31 août 2012

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Adrien Beltoise

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