Impression fausse évidemment, mais j'ai le sentiment que Neil Jordan n'était pas sorti depuis longtemps d'un placard avant de mettre en scène ce film. Il faut bien dire qu'une fois les années 1980 et 1990 passées, lors desquelles il a fignolé quelques œuvres mémorables, le réalisateur irlandais n'a rien donné de réellement remarquable. Après la vision de ce Marlowe, je pense que le meilleur de sa carrière est définitivement derrière lui.


Ressusciter le genre du film noir avec détective dans le vintage des années 1930, pourquoi pas. Roman Polanski y était parvenu avec brio lors de la décennie 1970 avec Chinatown, auquel le Jordan se réfère énormément sur le plan de la photographie, du visuel en général. Curtis Hanson a aussi réussi cette entreprise avec L.A. Confidential, au cours de la décennie 1990 (même s'il est vrai que l'action se déroule cette fois dans les années 1950 et avec des flics, mais il y a le même côté vintage !). Pourquoi pas si c'est pour apporter quelque chose de nouveau, comme Polanski ou Hanson. Mais non... enfin, si, une palanquée de défauts.


Neil Jordan reprend la figure du détective crée par Raymond Chandler (même si ce n'est pas adapté d'un roman de ce dernier, il est bon de le préciser par égard pour l'écrivain !), Philip Marlowe, pour le filmer en train d'échanger des dialogues alambiqués avec un personnage, sans creuser ce dernier, avant d'enchaîner avec un autre dialogue alambiqué avec un autre personnage, sans creuser ce dernier, avant d'enchainer... oui, bon, vous avez compris le principe (pour foutre une dynamique efficace entre notre enquêteur et les êtres qu'ils croisent, on repassera !). Autant avouer qu'en conséquence, le film devient vite répétitif et assez chiant.


Oui, mais vous allez m'objecter que les intrigues de Chandler étaient, elles aussi, alambiquées, pour ne pas dire incompréhensibles. Euh oui, bien sûr, mais reste que les personnages étaient assez bien creusés, en peu de temps, et que les dialogues étaient savoureux (d'ailleurs, ces derniers aidaient à la construction des caractères, à révéler leur personnalité, leur injectaient un minimum de consistance !). Et pour les très rares scènes d'action, les personnages qui sont liés à celles-ci, étant donné qu'ils n'ont pas été particulièrement bien creusés, et la brièveté de ces séquences (contrastant avec les interminables longues plages de dialogues alambiquées !) n'aident pas à insuffler un minimum d'intensité.


Autrement, les rebondissements utilisés ont déjà été vus et revus ailleurs et en mieux. Vous voulez un exemple précis ? La filature en voiture de Marlowe derrière le véhicule de la fille riche jouée par Diane Kruger est à chier. Désolé, mais une filature avec l'autre voiture qui suit cinq mètres derrière... euh, comment dire... Dans Chinatown, on a ce même type de séquence, sauf que le détective joué par Jack Nicholson (n'incarnant pas Philip Marlowe, mais un nommé Jack Gittes !) trouve une astuce pour ne jamais perdre de vue la bagnole conduite par la veuve femme fatale, incarnée par Faye Dunaway, tout en la suivant d'assez loin (rendant totalement vraisemblable qu'elle ne remarque rien !). Je vous laisse découvrir l'astuce par vous-même, en vous recommandant le Polanski pour celles et ceux qui ne l'auraient toujours pas visionné.


Et ensuite, il y a les acteurs... pff...


Jessica Lange, avec son lifting foiré, est censée faire croire qu'elle est une ancienne star du muet. Euh, elle a plus de 70 piges, rendue encore plus vieille par la chirurgie esthétique (laissez faire la nature, bordel !) et on est supposé croire qu'elle était suffisamment jeune (l'action se déroule en 1939, je le rappelle !) à l'époque du muet, donc dans les années 1910 et 1920, pour être une grande vedette, lors de cette période, dans un Hollywood âgiste ? Sans parler que son rôle n'est pas creusé (comme celui de tous les autres acteurs !). De ce fait, elle n'a pas la possibilité de se rattraper par le talent.


Pour Diane Kruger, je veux bien que son personnage soit gérontophile, aucun problème, chacun ses trucs tant que c'est entre adultes consentants. Par contre, le fait qu'elle souhaite se taper le protagoniste arrive comme ça, sans prévenir, sans que les conversations antérieures avec lui mettent en avant une quelconque attirance sexuelle. Pourtant, ce n'est pas une question de durée pour souligner une telle attraction, mais de dialogues et d'interprétations. Vous voulez un exemple ? Dans Le Grand Sommeil d'Howard Hawks, en trois minutes, une conversation entre Philip Marlowe (interprété là-dedans par Humphrey Bogart !) et une jeune libraire à lunettes, à qui Dorothy Malone prête sa sensualité, fait grimper à vitesse grand V le thermomètre et on ressent sans mal pourquoi la binoclarde sexy décide de fermer tout de suite sa boutique pour aller baiser avec son interlocuteur.


Et Liam Neeson... pff... déjà, putain, il a 70 piges, il est bien trop vieux. Et ce n'est pas parce que son personnage le confesse sans arrêt que le résultat est arrangé. Au contraire, ça met en relief que les créateurs du film en étaient conscients (pourquoi avoir choisi cet acteur si vous en étiez conscients, merde ?). Comment voulez-vous croire au type viril et fort, capable d'envoyer rapidement valser plusieurs adversaires en même temps, s'il est incapable de se mouvoir avec un minimum de souplesse. En plus, Neeson est en mode Taken, sauf que dans ce film, il avait plus d'une dizaine d'années de moins et que son côté brut de décoffrage avait la possibilité de s'exprimer dans de nombreuses scènes de confrontations physiques.


Je n'en veux pas au comédien de ne pas être fidèle au personnage de Chandler. Après tout, le côté "loser qui n'arrête pas de s'excuser d'exister" d'Elliott Gould dans l'excellent Le Privé de Robert Altman (qui prouvait avec brio que Philip Marlowe peut aussi bien vivre dans les années 1970 que dans les années 1930 ou 1940 !) fonctionne tout aussi bien que le cynisme séducteur d'un Bogart chez Hawks (en ce qui concerne les autres acteurs ayant prêté leurs traits à Marlowe, je trouve Robert Montgomery trop propre sur lui et Dick Powell au visage trop poupin pour qu'ils soient crédibles ; je n'ai pas vu les deux Robert Mitchum !). Ah oui, et Bogart ainsi que Gould (respectivement quadragénaire et trentenaire !) n'étaient pas du tout trop grabataires pour le rôle. Où en étais-je... ah oui, bref, je n'en veux pas à Neeson de ne pas être fidèle au personnage de Chandler. En revanche, il n'arrive pas à rendre les particularités de son Marlowe convaincantes en raison des problèmes susmentionnés.


Je ne sauve de cet échec qu'un soin pour la reconstitution d'époque (même si les voitures ont l'incroyable capacité à ne pas attraper la moindre trace... les stations de lavage auto peuvent déposer le bilan !), la manière dont c'est éclairé (au moins, il y a de l'ombre, du contraste ; ce qui n'est plus trop le cas aujourd'hui où tout est suréclairé !) et une révélation finale de quoi il retournait pas trop mal, même si elle aurait mérité d'être la conclusion d'un ensemble bien bien bien supérieur, mieux écrit, mieux inspiré, mieux réalisé, mieux interprété.

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le 19 févr. 2023

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Plume231

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