Mars Express
7.4
Mars Express

Long-métrage d'animation de Jérémie Périn (2023)

C’est toujours génial de voir des films et artistes défoncer les clichés qu’on peut avoir sur leur médium de prédilection, ici, que l’animation, c’est pour les enfants et que la s-f en France, à moins de s’appeler Luc Besson, ça n’existe pas (coucou Cinéma Trash). Mais trêve de grivoiseries, car c’est vers les étoiles qu’il vaut mieux porter notre regard, où se déroule l’action du premier film du pourtant déjà bien actif Jérémie Périn, que ce soit sur la série Lastman ou l’un des traumatisme de la génération Z, j’ai nommé le clip Fantasy de DyE. En tout cas, ce n’est pas par la petite porte que Jérémie Périn débute son activité dans le monde des longs-métrages, car avec Mars Express, il aboutit à un projet qui a duré plusieurs années, dont on pouvait déjà suivre le déroulé début 2019, et qui promettait déjà un vent plus que frais pour l’animation pour adulte et surtout, le cinéma de s-f hexagonal. D’autant plus que si les moyens de nos productions ne peuvent financièrement pas atteindre les ambitions visuelles de ces chers ricains, et malgré un budget de « seulement » 6,7 millions d’euros, l’animation pourrait bien être le moyen d’aboutir à une œuvre autant voire encore plus généreuse que certains des plus gros budgets qu’Hollywood a pu nous sortir, que ce soit dans ses possibilités infinies de mise en scène, ou la richesse de l’univers proposé. Bref je m’égare, mais ce qui pourrait caractériser mon attente et celle de beaucoup envers Mars Express, c’est la démesure, l’espoir de découvrir quelque chose d’hors normes, qui dépasse nos attentes même les plus folles, à la fois pour ce que ladite œuvre va représenter dans le sillage du cinéma français, que ce que cette œuvre pourrait proposer par rapport à son médium (et non genre) qu’est celui de l’animation. En outre on ne pouvait que souhaiter bonne chance à Jérémie Périn, car combler autant d’attentes, parfois en dehors des canevas esthétiques, n’a pas dû être facile, mais ce qui est sûr, c’est que même si le bonhomme ne s’est sûrement pas posé ces questions, le rendu final et ses très nombreuses réussites ne peuvent que difficilement décevoir par rapport aux promesses ou espoirs initiaux qui sont pour ma part comblés.




Pour reprendre les bases, Mars Express, c’est un film d’anticipation se déroulant en 2200 et dans lequel l’on suit Aline Ruby et Carlos Rivera, détectives privés alors en mission sur Terre afin de capturer un hackeuse qu’ils ne vont pas tarder à faire revenir sur Mars, où une colonie terrestre a réussit à aboutir. Dès lors, malgré qu’il s’agisse en bonne et dû forme d’un récit d’anticipation, Mars Express est avant tout un polar spatial, un film d’enquête autour de la mystérieuse disparition de deux étudiantes qui va peu à peu dériver vers des affaires de complot. Au-delà du récit et ce qu’il raconte, Jérémie Périn offre avant tout ce qu’on peut grossièrement appeler un buddy movie, puisque agençant en majorité l’évolution de son scénario sur le développement de ses deux personnages, dont on va peu à peu découvrir la personnalité, l’histoire et leur relation ; en plus d’êtres de parfaits personnages témoins pour découvrir avec eux l’univers de Mars Express. Pourtant, au-delà du développement de leur relation, ce qui marque avant tout, c’est l’omniprésence du transhumanisme, qui justifie par exemple le transfert de l’esprit de Carlos dans un androïde, complexifiant davantage la relation qu’il entretient avec Aline, qui a elle quelques problèmes d'alcool, en plus de créer sans s’en rendre compte une porte d’entrée vers les progrès techniques dépeints par le réalisateur. Et ce dès leur première scène, où leur complicité ainsi que certaines capacités encore hors normes aujourd’hui nous sont présentées sans le moindre bla bla ou une quelconque difficulté de compréhension. Pourtant c’est peut-être de là que provient l’un des gros si ce n’est le plus gros point faible de Mars Express, c’est que bien que l’univers soit maîtrisé et millimétré, notre appréhension de celui-ci n’est pas instantané, et la présentation parfois expéditive de certains personnages m’a quelque peu posé problème. Un problème car tout d’abord, leur rôle au sein de l’enquête reste flou, pour garder un certain suspens, mais de fait, leur traitement m’a paru assez lacunaire, et quand l’on revient auprès de certains personnages, j’avais clairement du mal à me resituer à leur égard, ce qui m’a empêché une quelconque empathie pour nombre d’entre eux. Ensuite, il y a le fait que Mars Express doit délivrer le plein potentiel de son univers, ses règles, son enquête et ce qu’elle implique en moins d’une heure et demi. Pourtant, le film accumule bon nombre de personnages (humains ou non), au point de se tirer une balle dans le pieds quand à la clarté de l’enquête et surtout la puissance de ses retournements de situation, donnant la sensation que le réalisateur s’est éparpillé, non pas sur ses pistes de réflexion mais sur son cheminement narratif.


Pour autant, c’est à moitié un défaut car malgré que je n’ai pas été aussi investit émotionnellement parlant que je l’aurai aimé, rendant la situation familiale de Carlos, par exemple, assez terne malgré les questionnements qu’il pose à son spectateur, ce serait oublier que Mars Express bénéficie d’une gestion du rythme hallucinante, délivrant une cadence survitaminée quand à l’évolution de son récit. Si ce tempo empêche de s’attacher autant que voulu à la plupart des personnages secondaires et leur rôle, il permet de passer outre les défauts cités plus-haut en se laissant emporté dans le crescendo autant scénaristique que thématique du long-métrage. Car si l’univers est absolument dément, à la fois dans sa direction artistique pure que son déroulé, arrivant à garder notre suspension d’incrédulité totale du début à la fin, Mars Express est aussi génial pour ses références qui ont permis de construire l’univers et, ironiquement, la singularité du bazar. Au-delà de liens évidents faits à des œuvres telles que Ghost in the shell, c’est surtout dans ses liens avec les œuvres d’Isaac Asimov, auteur des lois de la robotique, que le film excelle, partant de cette base pour construire son intrigue avec toute l’imprévisibilité qu’on peut lui saluer. Dans le fond ça permet à Mars Express d’être étonnement profond dans ses thèmes abordés, mais surtout de plus en plus dense dans le rapport entre l’homme, l’androïde et le transhumanisme malgré une prémisse de buddy movie tout à fait banale dans les films d’enquête, jusqu’à toucher du doigts des questionnements métaphysiques sur sa fin inoubliable, en passant par d’autres questionnements plus politiques et sociaux sur l’évolution de notre rapport à la technologie. La société que dépeint Jérémie Périn avec son film c’est celle d’une puissance intellectuelle et économique hors normes, presque impensable dans l’heure actuelle, mais qui est à deux doigts de s’effondrer car se basant sur une logique qui la dépasse, à savoir la question de l’intelligence artificielle. A ce niveau, on peut dire que malgré sa longue gestation, Mars Express sort au bon moment, alors que les questionnements autour de logiciels et outils deviennent de plus en plus imposants et omniprésents, mais loin de venir nous faire la morale, le réalisateur se permet avec un thème aussi actuel de magnifier son récit d’anticipation, en anticipant littéralement les peurs et maximes de notre époque, en créant un flou total entre l’utopie et la dystopie. On peut en tout cas pour ma part surligner la pertinence de cette réflexion, appuyée sur les actuels prévisions scientifiques autour de la robotique, le transhumanisme, ou tout simplement la colonisation spatiale, et qui laisse à voir un univers très riche, jamais redondant, et qui paraît étrangement crédible dans son fond, en plus de donner un aspect neuf à des scènes parfois vues et revues. De la découverte d’une scène de crime, à une course poursuite sur les toits, en passant par un impressionnant accident de voiture, tout est pensé pour allier l’anticipation avec un œil plus contemporain dans le développement de son intrigue, qui ne nous dépayse pas sur ses prémisses mais qui ne peut que surprendre dans son développement, et en bien s’il vous plaît. En bref, une écriture un peu en demi-teinte mais qui est largement rattrapée par une gestion du rythme prodigieuse, et le développement d’un univers peut-être trop riche mais jamais lassant, qui de ses références aux questionnements qui en découlent offrent une œuvre complètement singulière et rafraîchissante dans le paysage de la science-fiction.




Au-delà de son enquête complètement effrénée, Mars Express ce n’est pas qu’un scénario très ambitieux, mais aussi un travail de mise en scène indéniable pour donner vie et sens à l’univers martial qui est dépeint, comme les références citées ci-dessus. Car comme dit plus-haut, ce qui est formidable avec l’animation, c’est qu’on peut tout faire, aucune limite si ce n’est celle de l’imagination n’est de mise, et clairement, c’est ce que Jérémie Périn a bien compris avec Mars Express. Au-delà du gigantesque univers qu’il dresse et développe tout au long de ces 1h25, il offre approximativement 2 idées par plan, que ce soit par rapport à la mise en scène pure et dure ou tout simplement la mise en relation entre l’homme et la robotique qui reste le thème central de Mars Express. Pour le dire sans langue de bois, la mise en scène de Mars Express a tout de celle d’un grand blockbuster hollywoodien, elle ose toutes les folies et maximise sans broncher l’intensité de ses scènes d’actions autant que l’émerveillement ou du moins l’ébahissement qui peut surgir face à l’univers qui nous est présenté. C’est méticuleux et impressionnant en somme, avec un travail sur les lumières, les perspectives, les décors ou véhicules et j’en passe, qui montrent un renouvellement permanent du travail sur l’image et surtout une composition fourmillant de détails visuels et d’inventivité. A la limite, toujours avec son trop-plein d’ambition, les arrières plans souvent trop fixes, à la fois dans les décors que certains figurants, donnent côté un peu cheap, voire cache-misère à certaines scènes, en plus de gâcher sur le moment l’idée qui transpire tout du même du plan en question. Est-ce dû à un manque de budget ? Une technique pas forcément au point ? Les deux ou autre chose ? Quoiqu’il en soit ces petites tâches ne viennent pas tant interférer avec le reste du programme qui est dans le pire des cas, de grande qualité. Impressionnant c’est vraiment le mot qui pourrait définir Mars Express, notamment quand ses concepts thématiques (notamment à la fin) ou encore le gigantisme de son univers et sa machinerie (le départ du mars express faisant le lien entre la terre et Mars) offrent des plans proprement époustouflants qui donnent encore plus de vie et de cachet au film qui en ressort. D’autant plus dans son rapport à l’animation, expérimentant toutes les techniques et possibles, à la fois la question de la 2D et 3D, le réalisme, le cell shading, le chromatique, le pastel, etc. Il y a une vraie mixité dans les tons et formes d’animations utilisées ici, et qui servent vraiment à donner une singularité supplémentaire à l’œuvre de Jérémie Périn, qui s’il ne rend pas ce mélange toujours homogène accouche tout de même d’un film hybride absolument dément sur l’utilisation de l’animation plus comme médium que comme genre.


En plus de bénéficier d’une animation absolument superbe, la mise en scène Mars Express tient surtout de part son utilisation narrative, car si le film sait montrer les gros bras en terme d’inventivité, il n’hésite pas à aussi donner plus de profondeur à ces images afin d’aller au-delà de la simple beauté plastique. Justement, c’est là ou revient en force le thème dense de Mars Express, à savoir le transhumanisme, qui est encore plus approfondit avec sa manière de mettre en scène et surtout détourner nombreux attendus du polar, des passages parfois obligés qui prennent alors une toute autre tournure et pour le mieux. Dès le début, sans pour autant avoir des explications textuelles, on comprend implicitement qu’Aline et Carlos sont capables de communiquer, non pas par télépathie mais grâce à un programme implanté dans les deux personnages ; et qui est ainsi banalisé. Sans compter le passage à des visions en infrarouge, l’intégration d’un filtre de chat sur une scène de crime, et j’en passe, ces idées de mise en scène donnent une vraie densité au film, et nous confrontent à notre rapport au transhumanisme sans pour autant textuellement aborder ces sujets, mais en nous les laissant cogiter. Sans tomber dans la froideur d’un Villeneuve avec des concepts plus importants que la chaire humaine, Mars Express ne se laisse jamais vraiment dépasser par ses concepts de mise en scène, en gardant une attache toujours presque paradoxale au corps afin de garantir notre empathie envers les protagonistes et l’univers. Une chaire et des voix surtout, car difficile de ne pas applaudir le doublage de Léa Drucker, complètement à l’aise dans l’exercice comme le pourtant bien plus prolifique Daniel Lobé, ajoutant une vraie personnalité à leurs personnages, dont on suit, contrairement aux plus secondaires, l’évolution avec un vrai plaisir ; en plus de certains caméos vocaux que je vous laisserai découvrir. Puis enfin, il est bon de rappeler qu’au-delà de ses thèmes, Mars Express est un film pour adultes, et que cela passe certes par un fond aboutit et mature, mais que Jérémie Périn arrive à aussi faire passer dans le scénario de son long-métrage. Pour le dire simplement, ça parle beaucoup de cul, les références aux actes sexuels et autres joyeusetés sont souvent légions, le film fait se dérouler par ailleurs une partie non négligeable de son film dans un club où sont engagés des prostitués synthétiques, nous présente des modèles de robot créés pour le plaisir et on nous montre même un aperçu du coïte 2.0. Par ce biais, Jérémie Périn, en plus de faire sourire, continue de parler de questionnements liés au transhumanismes et à lier ces concepts à sa mise en scène, à la fois dans le design des androïdes ou de ce club avec la même qualité que précédemment. En bref plus un film adulte que gamin sur ces sujets, sans compter sur la violence du film, et notamment de sa scène d’ouverture, qui joue à la fois sur du gore robotique et quelque chose de beaucoup plus sec et nerveux, inhérent aux polars. Par ce biais là, même si les enjeux sont encore une fois assez mal gérés, la manière de faire reste absolument admirable et permet non seulement de tenir ce scripte trop ambitieux pour son propre bien, mais en plus de se retrouver face à un travail esthétique ingénieux et presque jusqu’au boutiste. Pour finir, difficile de ne pas parler de la musique, absolument sensationnelle et très variée, mais qui laisse là encore un goût ambiguë entre la fascination et l’inquiétude. Quoiqu’il en soit, en plus d’être incroyablement généreux sur le développement de sa mise en scène, Jérémie Périn créé définitivement un récit mature, alliant parfaitement le fond et la forme de son propos et de ses ambitions, qui peuvent difficilement laisser de marbre en plus de rendre encore plus singulier ce voyage sur la planète rouge.




En définitive, pour moi, s’il pêche par scénario pur et dur parfois construit trop maladroitement, et trop ambitieux par rapport à la durée, Jérémie Périn se rattrape largement dans le propos qui découle sans difficulté de son premier long-métrage, et surtout sa connivence avec une mise en scène furieuse, qui donne du poids à tous les efforts techniques et plastiques ayant autant attrait au cinéma d’animation que celui d’anticipation. Bref une perle qui m’a plus que convaincu et qui a comblé en toute générosité mes attentes. Le passage au long métrage s’est fait par la grande porte, et j’espère que pour une fois de tels efforts de la part de Jérémie Périn résonneront auprès d’un public toujours aussi gourmand de cinéma de genre mais aussi indécis à en parler.

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le 23 nov. 2023

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