Il était de bon ton, à l’aube de la sortie de Jupiter Ascending, nouvelle réalisation des anciennement Frères Wachowski, de revenir sur l’oeuvre qui a à la fois fait leur succès, mais a aussi engendrée nombres d’interprétations et de réflexions sur la notion même de l’image. Ne croyez pas que Matrix était un simple coup de génie, ou un film pour « geeks », il est bien plus que cela.


la-seconde-renaissance-animatrixIl n’est pas question ici de faire une analyse concrète de l’oeuvre ou d’essayer de faire des hypothèses qui n’auraient pas lieu d’être étant donné que nombre de fans ont dores et déjà pris les choses en mains, mais il reste toujours intéressant de revenir sur les notions importantes, qui font de Matrix ce blockbuster impérial encore peu égalé à ce jour. Par ailleurs, il convient de préciser que les propos tenus ici concernent majoritairement le premier volet de la saga, étant donné qu’il a été conçu comme un film « sans suite », au cas ou le succès n’était pas au rendez-vous et ne permettait pas aux Wachowski de réaliser la trilogie initiale. C’est d’ailleurs l’une des raisons du pourquoi les suites semblent parfois maladroitement raccrocher les wagons, mais le débat est autre. Matrix n’était pas juste un coup de chance, car les Wachowski avant leur essai sur Bound avaient déjà le script sous le bras, ainsi qu’une grande majeure partie de la mythologie de la saga en tête. Il est alors de bon ton de revenir très rapidement sur l’origine du conflit interne au premier film, clairement explicité dans les deux volets de La Seconde Renaissance qu’on peut retrouver dans la collection de courts métrages Animatrix. On y découvre un monde à l’orée du 21ème siècle où hommes et robots vivent sereinement jusqu’à un meurtre sordide perpétré par un robot ménager. Rejetés, les robots décident de créer un Etat autonome, dans lequel ils produisent leurs technologies en harmonie, jusqu’à une proposition de paix mutuelle qui aboutira sur un rejet de la part de l’homme : une nouvelle guerre mondiale éclate. L’homme tente alors de réduire la force des machines, en leur coupant la vue du soleil, mais il ne parviendra pas à faire face. Il finira achevé, soumis et maintenu en esclavage par les machines qui découvriront en lui une source inépuisable d’énergie. De là naît la base même du premier film, qui nous amène au but même de ce texte.


Outre qu’il est un excellent blockbuster de science-fiction, Matrix a fait l’objet de nombreuses analogies avec la philosophie. Non pas que celui-ci prétende en faire, mais à exposer au moins des concepts, qui si ils sont communs pour l’étudiant en philosophie, ne le sont pas nécessairement pour le public lambda qui y verra tout au plus un film incompréhensible. Il n’y a pourtant pas plus clair que Matrix, et avec les outils nécessaires, on y découvre plus qu’un simple film à concepts. Le plus simple et le plus évident – le seul sur lequel ce texte se concentrera – étant la classique Allégorie de la caverne de Platon. Une idée que Platon avait développé dans La République, visant à nous expliciter sa théorie des Idées ou Formes Intelligibles, consistant à prendre pour constat que l’homme vit dans l’illusion, un reflet de la réalité, et qu’il doit voir plus loin pour accéder au Bien, l’idée même de la réalité. Ainsi dans l’allégorie, l’un des prisonniers enchaîné de la caverne se verra libéré afin d’être éduqué, son rôle étant ensuite d’éduquer les autres prisonniers et de libérer leurs chaînes pour les délivrer du monde sensible. A partir de là, le décalque est assez évident : Matrix nous narre le récit de Neo, jeune hacker, se voyant contacté par Morpheus qui le libérera de la Matrice, une réalité alternative créée pour maintenir la race humaine sous le joug des machines. Au terme d’un long apprentissage, Neo arrivera à accéder au Bien, à la connaissance du monde, afin d’aller libérer tous les autres humains et par extension sauver la race humaine retranchée à Zion, dernière cité souterraine à l’abri des machines. Le décalque est tel que chaque élément de l’allégorie se verra interprété à l’écran, jusqu’à la résistance de Cypher, préférant les ombres de la caverne (la Matrice) à la réalité même, se confrontant donc à Neo.


Mais Matrix ne serait pas si intéressant si il n’était qu’un décalque contemporain d’une théorie philosophique, il va plus loin. Revenons à la situation des hommes enchaînés dans la caverne et comparons là à la nôtre, spectateurs de cinéma, nous regardons des projections de réalité sur un écran géant, et bien que nous sachions qu’elles soient fausses, nous les prenons pour vérité. Ainsi Matrix nous impose à réfléchir, sans le dire ouvertement, sur le rapport que l’on a aux images, et de l’effet qu’elles ont sur nous. Nous regardons la projection d’une réalité, qui elle-même n’en est pas une car les décors sont réalisés soit sur fonds verts soit en carton pâte. D’une part le film se joue de nous et nous fait comprendre que nous sommes facilement influençables, mais il se permet une réflexion intéressante sur le cinéma en lui-même et sa capacité ou non à raconter des histoires autrement que par le biais d’un supposé réalisme. Les critiques sur un supposé film de geeks fantasmé sont donc non fondées, car si les personnages présents dans Matrix sont capables des plus grandes prouesses, ce n’est pas simplement parce que c’est impressionnant visuellement, mais parce qu’ils ont le contrôle sur le monde qui les entoure. Cela est d’ailleurs parfaitement représenté dans la fameuse scène de la cuillère, ou Neo apprend que ce n’est pas la cuillère qui compte, mais l’idée qu’il s’en fait. Ce cap passé, il sera capable de dépasser ses capacités.


Encore une fois, ces propos se basent sur des théories déjà existantes, et il était nécessaire de se concentrer sur la plus simple et la plus pertinente pour aller droit au but. Si vous souhaitez approfondir le sujet, plusieurs choses se proposent à vous comme le site Matrix Happening ou encore l’ouvrage d’Hugo Clémot édité chez VRIN, Les jeux philosophiques de la trilogie Matrix. Malheureusement aujourd’hui, Matrix est finalement devenu pour beaucoup un coup de génie d’un instant ou tout simplement un blockbuster plus intelligent que la moyenne, mais aujourd’hui, combien peuvent se targuer d’avoir atteint de tels degrés de réussite ? C’est à la fois un véritable film d’auteurs, de passionnés mais c’est aussi un film revendicateur comme on n’en fait presque plus aujourd’hui. Peu arrivent à mêler réflexion et divertissement avec un tel degré de précision, et l’on espèrent que les Wachowski continueront encore longtemps malgré leurs multiples échecs publics récents.


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Florian_Bodin
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le 1 févr. 2015

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Florian Bodin

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