La volonté d'expérimenter avec intelligence jusque dans les moindres recoins fait partie intégrante de l'identité de Mauvais sang, et il y a là quelque chose de jouissif à assister à une inventivité aussi explosive. Si elle n'est pas toujours au service du déroulement de l'intrigue, qui n'est de toute manière n'est pas centrale, on ne peut en aucun cas faire le procès de son efficacité à dire les émotions que ne peuvent qu'approximer les mots. En ce sens Mauvais sang n'est pas sans rappeller la Nouvelle vague, à bien des égards.


Vous aimez les histoires à hauteur d'homme de Truffaut? Alors les péripéties d'une jeunesse désoeuvrée prête à tout pour foutre le camp de Paris et de ses transports en commun déshumanisants vous ravira. Le récit livre de larges pans de vie ordinaire souvent cadrés en gros plans voire en très gros plan sur les yeux, et ainsi naît une simplicité qui se métamorphose tout naturellement en authenticité. Et de ces histoires de tous les jours émergent des images qui s'extirpent du temps avec la complicité tantôt des acteurs qui s'expriment librement, tantôt de la musique s'inscrivant en contre-point des évenements.


Vous aimez la manière qu'a Godard de jouer avec le son et avec le temps? Le montage du film saura jouer avec vos attentes pour mieux les déjouer et subséquement questionner ces attentes qui ne sont autres que la progéniture de conventions narratives. De fait, ce qui se perd en lisibilité se mue en expressivité. On retrouve aussi les ellipses de quelques secondes si chères à Godard, marquées ici par l'intercalage d'écrans noirs entre deux plans, au service de l'humour et du dynamisme bien sûr mais à mon sens c'est également une façon de représenter la mémoire, les souvenirs étant des chimères formées d'instants forts disjoints dans le temps, et sont donc par nature lacunaires. En somme, c'est comme si ces scènes était montrées de la manière dont les protagonistes et les spectateurs s'en souviendront. Concernant le son, le film met à mal sa spatialisation en proposant à diverses reprises des ambiances sonores en décalage avec les images qu'elles accompagnent, par exemple lors d'un saut en parachute qui établit un parallèle entre le sifflement dru couplé aux images d'un personnage dur et la douce brise allant avec le tandem Binoche/Lavant pour un instant tout en poésie.


Justement, vous aimez la poésie commune à tous les films de la Nouvelle Vague? Enumérer les envolées lyriques serait fastidieux tant elles jalonnent Mauvais sang, mais on peut retenir quelques fulgurances notables: une prise d'otage des plus inattendues, un virus s'attaquant à ceux qui tournent le dos à l'amour ou encore une déclaration sur la radio que les auditeurs laissent leur dicter leurs émotions, déclaration s'appliquant à merveille à Mauvais sang et au cinéma de manière plus générale. L'humour si particulier de Leos Carax complète avec brio l'ensemble, notamment grâce à l'incroyable phrasée et à la non moins incroyable gestuelle de Denis Lavant.


Vous aimez les couleurs et l'esthétique léchée de Demy? Leos Carax vous bichonnera. Sans nul doute le point le plus fort du film, quel bonheur de voir un film français s'élever si haut dans la quête du jamais vu et du grandiose. S'appuyant sur des cadrages improbables, des couleurs chatoyantes, des mouvements de caméra fous(cette course inoubliable rythmée par Bowie), des lumières, des symétries, des réductions du nombre d'images par seconde, Carax tente continuellement et fait mouche coup sur coup.


Bien sûr, tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et parfois la poésie n'opére pas, parfois les acteurs cabotinent, mais toujours l'honnêteté déborde du cadre, et l'on se prend à rire, à s'émerveiller, à rêver, à s'embarquer dans 2 heures de grand cinéma.

oulianov
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le 8 nov. 2020

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oulianov

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