May December
6.5
May December

Film de Todd Haynes (2023)

May december est un film déroutant. Un jeu de miroir entre une actrice (Nathalie Portman) qui, pour préparer son rôle, vient rencontrer une femme qu'elle s'apprête à incarner à l'écran. Cette dernière, Gracie (Julianne Moore) a défrayé la chronique dans les années 1990 après s'être éprise d'un garçon de 13 ans, alors qu'elle en a avait 20 de plus. 24 ans après les faits, ce couple immoral tient toujours. Ils sont mariés, ont eu des beaux enfants prêts à voler de leurs propres ailes, ils sont heureux et la vindicte populaire semble s'être quelque peu estompée.

Au départ, le projet cinématographique que porte l'actrice semble apprécié par le couple. Ils l'envisagent comme un moyen de rétablir l'honneur de cette femme accusée de pédophilie et condamnée à une peine de prison. Il s'agit de démontrer qu'elle n'a agi que par amour et que le garçon a pleinement consenti cette relation. La preuve par le bonheur conjugal que la condamnation morale et pénale de Gracie fut une injustice.

Néanmoins la venue de l'actrice dans le microcosme familial va faire voler en éclat toutes les certitudes. Alors qu'elle aborde initialement son travail comme une entreprise de réhabilitation de cette femme honnie, l'actrice va peu à peu être troublée par la personnalité de celle dont elle doit interpréter le rôle. Les témoignages des proches, eux-mêmes éreintés par cette histoire, contribuent à renforcer le trouble. Comment, dans ces conditions, l'acrice peut-elle conserver la juste distance entre neutralité et condamnation morale ? D'autant que la façade heureuse de ce couple hors-norme s'effrite sous le poids des non-dits et des refoulements.

Evidemment, Gracie et Joe ne sont pas si heureux qu'ils le laissent voir. Gracie s'avère un être profondément égocentrique et dénué d'empathie, peut-être une victime qui a reproduit le mal qu'on lui a fait subir dans les alcôves de l'enfance. Quant au garçon, âgé de 36 ans désormais, on comprend qu'il n'a pas eu d'autre choix que d'accepter son sort, par loyauté envers la mère de es enfants ou peut-être simplement par ignorance de tout autre cadre de référence morale.

En pleine polémique sur le phénomène d'emprise patriarcale qui a sévi dans le milieu du cinéma depuis l'affaire Weinstein, May december fait le choix d'une inversion de genre. Il s'avère donc que les femmes peuvent également être pédophiles et leur acte n'en est pas moins destructeur, pour les victimes et l'entourage, que celui commis par les hommes. Grande découverte. Quant au jeune homme, le fait qu'il appartienne à l'engeance masculine le rend-il moins victime que ne le serait une jeune femme abusée ?

Voilà le fond de la réflexion morale, faussement subversive, que pose ce film. Pourtant la réponse à ces questions semble si évidente que le réalisateur aurait pu faire l'économie d'artifices grossiers de mise en scène pour la faire éclore. Le jeu de miroir entre la femme et l'actrice est censé opérer un phénomène heuristique subtil ; en réalité il finit par créer le malaise comme dans cette scène d'amour pathétique entre Joe et l'actrice que cette dernière provoque pour créer un électrochoc salutaire dans l'esprit du jeune homme... sans pour autant hésiter à se saisir des secrets intimes du couple pour les intérêts de son rôle. Le réalisateur interroge en filigrane la position très ambiguë du personnage de Nathalie Portman : comment peut-elle condamner les actes d'une personne dont elle va littéralement piller l'histoire au profit de sa propre renommée d'actrice ?

Bref, une mise en scène faussement sophistiquée pour un film plutôt ennuyeux, qui n'apporte pas grand chose à la compréhension du phénomène d'emprise. Heureusement, deux actrices magnifiques parviennent à nous émerveiller grâce à leur talent et par leur beauté à l'écran qui semble défier le poids des années.

Samfarg
5
Écrit par

Créée

le 28 févr. 2024

Critique lue 18 fois

Samfarg

Écrit par

Critique lue 18 fois

D'autres avis sur May December

May December
Yoshii
4

Métamorphose narcissique

J'aime beaucoup le cinéma de Todd Haynes, lorsqu'il s'attache à porter sa caméra au delà du mur des apparences pour disséquer un certain "American way of life", et traquer les malaises et...

le 26 janv. 2024

48 j'aime

8

May December
Procol-Harum
8

De l’amour à la Haynes

Attiré indéniablement par le mélodrame, genre qu'il a côtoyé notamment avec Mildred Pierce (2011) et Carol (2015), Todd Haynes y retourne de nouveau avec May December mais non sans se départir d’une...

le 26 janv. 2024

26 j'aime

5

May December
Plume231
7

Imitation of Life!

On ne peut pas donner tort au réalisateur Todd Haynes de reprendre le thème musical hantant et entêtant de l'excellent film de Joseph Losey, Le Messager (ayant remporté la récompense suprême à Cannes...

le 23 janv. 2024

24 j'aime

7

Du même critique

Tre piani
Samfarg
7

Trois voies de la libération

Tre piani de Nanni Moretti est un film choral minimaliste sur la forme, presque austère, mais qui révèle toute la sensibilité et la subtilité de l'auteur. Il s'agit de trois destins reliés par un...

le 11 nov. 2021

4 j'aime

The French Dispatch
Samfarg
4

Un néant sublime

J'adore l'univers de Wes Anderson. Son inventivité old school, son foisonnement d'astuces bout-de-ficelle et son talent de conteur m'ont si souvent ému (particulièrement dans Moonrise Kingdom et Au...

le 1 sept. 2022

4 j'aime

Le Goût des autres
Samfarg
9

La distinction

Le goût des autres est un grand, un très grand film mineur. Derrière la comédie et les scènes cocasses, le film est d'une très grande profondeur et poursuit une véritable ambition : mettre en scène...

le 12 juil. 2021

4 j'aime