Musique : Night - John Carpenter


Mariana et ses amies font partie d'un groupe catholique radical brésilien. Le jour, elles assistent à des meetings politico-religieux du prêtre de l'association, elles chantent des musiques à la gloire de Dieu et animent une chaîne Youtube religious-friendly. Le soir, elles traquent et lynchent les mauvaises croyantes. Jusqu'au jour où elle tente de retrouver Mélissa, mutilée quelques années auparavant par cette même secte. Sa recherche l'amène dans un hôpital d'un autre temps entouré de mystères.


À mi-chemin entre la satire sociale, la comédie noire et thriller horrifique, la proposition d'Anita Rocha da Silveira reste relativement inclassable. Drôle, engagé, étrange et haletant, ce mélange des genres, d'une subtilité rare, ne m'a pas laissé indifférent. Je regrette toutefois que le film reste trop souvent en surface des thématiques qu'il aborde sans en explorer les tréfonds pourtant si intéressants.



Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants
de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier.



Religion ; Radicalisme ; Féminisme ; Réseaux sociaux ; Obsessions


Comment la réalisatrice Anita Rocha da Silveira figure-t-elle l'émancipation des femmes dans son long-métrage ?



I. Entre territoire de domination et territoires d'émancipation.



Au fur et à mesure de son long-métrage, la réalisatrice instaure une véritable dualité des territoires. D'abord des lieux connus et sécurisants, que sont la scène de concert, la maison et la chapelle. Des zones marquées du sceau de la religion et qui matérialisent une triple emprise : sororale, familiale et sectaire. Ensuite, des lieux inconnus et hostiles, que sont l'hôpital et la forêt. C'est à travers ces espaces de mystères et d'ouvertures que peut s'exprimer pleinement la personnalité - et féminité - de Mariana. Là, le personnage principal goûte aux premiers plaisirs de la séduction et du désir. Elle s'émancipe des carcans de la religion. Malgré ses apparences démoniaques, l'hôpital et la forêt qui le jouxte restent des espaces safe. Par une ouverture d'esprit manifeste, car les gens dansent, sourient, se prennent dans les bras, ne se jugent pas. D'ailleurs, le personnage de Mariana territorialise cet espace, c'est-à-dire qu'elle se l'approprie. On le voit bien à la réaction du personnage quand Michele pénètre cet endroit. « Que fais-tu ici ? C'est MON lieu de travail ». Le personnage principal se croyait à l’abri de l’influence extérieure, et ne souhaitait pas faire communiquer ces deux mondes. Le territoire relève maintenant de l'intime, et tout le monde n'y est pas accepté. C'est un refuge. Symboliquement ce sont deux mondes qui s'affrontent ici : l'expectative religieuse oppressante et la rationalité scientifique rassurante. Ici, l'asile a fonction de seuil : c'est-à-dire qu'il permet d'intégrer un autre monde et qu’il fait évoluer les personnages. De facto, Michele s'affirme et s'émancipe à partir du moment où elle franchit les portes de ce mouroir. C'est une renaissance pour les personnages.


À contrario, la rue s'affranchit de ces distinctions car c'est un véritable lieu de rencontre entre les puritains et les impies. C'est d'ailleurs pendant ces rares moments que le spectateur peut voir une autre facette de la société, avec des gens libres, qui nous ressemble. Autrement, c'est un Brésil dépeuplé qu'illustre Anita Rocha da Silveira voir un Brésil dystopique au sein duquel la femme n'a pas voix au chapitre et n'occupe que des rôles de figuration.



II. Une ambiance visuelle et sonore qui révèle une transfiguration du féminin.



La réalisatrice met également en scène une confrontation chromatique. D'un côté, c'est la pureté et la féminité enfantine qui sont mises en exergue avec le rose et le bleu. Le décor girly très stéréotypé fige les femmes qui le peuple à l'état d'éternels enfants. À l'inverse, les décors vespéraux et interlopes mettent en avant des couleurs criardes rouges et vertes, à la Dario Argento. Ces visages peints de lumières leurs confèrent une aura étrange et surnaturelle. Ainsi, par ces deux décors, la réalisatrice semble reprendre à son compte la vision dualiste chrétienne opposant le paradis et l'enfer. Le rose étant associé à l'enfance pure et pieuse et le vert à la perversion et au péché.


On retrouve aussi nettement cette opposition dans la musique diététique du film, c'est-à-dire les sons que peuvent percevoir les personnages dans la séquence. Alors, la réalisatrice met en balance la musique chantée par la chorale chrétienne et la musique de festival. Si la musique religieuse est réglée et corsetée, la musique électronique fait place à une cérémonie dionysiaque durant laquelle les personnages prennent pleinement conscience de leur corps, de leurs désirs et pulsions. Les masques zoomorphiques que revêtent certains participants ajoutent un aspect glauque et répréhensible à la scène. Michele quant à elle, retire son masque et ses vêtements et annonce sa nouvelle manière d’exister au monde.


Par ailleurs, la réalisatrice instaure une atmosphère lourde et pesante. La scène de la traque dans le parc illustre cela en reprenant l'imagerie brumeuse des vieux films d'horreurs. Toutefois, ce qui symbolise surtout cette atmosphère, ce sont les scènes de rêveries. Régulièrement les personnages sont isolés par un fond noir et opaque derrière eux. C'est à se demander : « Où sont passés les gens ? ». Comme évoqué précédemment, C'est un Brésil totalement dépeuplé que dépeint la réalisatrice. Un espace qui ne convoque que de rares points de vue extérieurs et qui emprisonne le spectateur.



III. La supercherie des masques.



La thématique du masque est centrale dans ce film. C'est d'abord à travers les multiples genres de ce long-métrage qu'on l'aperçoit. On attribue généralement au cinéma sud-coréen la maîtrise parfaite du mélange des genres, à Park Chan-Wook, à Bong Joon-Ho ou à Lee Chang-Dong pour en citer quelques-uns. Mais le cinéma brésilien n'est pas en reste. Il est imprégné d'une inquiétante étrangeté mêlant la réalité sociale avec le cinéma de « genres » formant ainsi une sorte de poésie malaisante. Ce cinéma là, et plus largement le cinéma sud-américain, peut être très allégorique et assez atmosphérique par certains endroits : Région Sauvage (2016), Les bonnes manières (2017), Meurs, monstre, meurs (2018) par exemple. Trois films que j'ai trouvé assez, voire très mauvais, mais qui mettent en lumière ce mélange des genres. Et bien ici, l'inquiétante étrangeté de Medusa forme un espèce de voile sibyllin qui se lève au fur et à mesure du film pour laisser place à un cruel réalisme. Un silence brisé par les cris stridents des femmes avides de liberté.


Les masques sont aussi sociaux et les filles arborent un masque diurne et un masque nocturne différent. Le jour, elles sont des gentilles fillettes, propres sur elles et bien sous tous rapports. Un groupe de filles qui reprend quasiment trait pour trait l'esthétique et les relations du groupe de filles de Lolita malgré moi (2004). Des garces aux apparences trompeuses. Je m'emballe. La nuit, les femmes avancent masquées pour lyncher d'autres femmes aux valeurs morales légères. Des scènes qui peuvent nous faire penser à Orange mécanique (1971) pour leurs radicalités et leurs violences. Ces masques passent aussi à la moulinette des réseaux sociaux. Ces derniers agissent, au sens propre comme au sens figuré, comme des filtres qui travestissent la réalité. Les coulisses n'apparaissent pas et seule la scène est sous les projecteurs. Ainsi les blessures de Michele, causées par son petit copain et celles de Mariana, causées par l'une victime de son agression en groupe, sont gommées. Toutefois, cela nous aura permis d'apprendre, en visionnant la chaîne YouTube du groupe, à faire « 10 selfies à la gloire de Dieu » et ça, ça vaut le détour. Mais derrière cette apparence racoleuse, de comique et d'horreur, se dessine une véritable dénonciation de l'emprise de la religion d'une part et du pouvoir patriarcal d'autre part.


Enfin, à l'instar du mythe de Méduse qu'elle revisite, Mariana en épouse progressivement les traits. On le voit par son caractère qui évolue bien sûr, mais aussi par son physique. À son arrivée à l'hôpital par exemple, elle cesse de se lisser les cheveux et laisse apparaître ses cheveux frisés. Une scène met particulièrement en valeur ses cheveux qui apparaissent alors comme des serpents dignes de l'iconographie mythologique. Elle ne se complaît plus dans l'apparence de la gentille épouse modèle. Mariana multiplie également les regards caméra qui pétrifient quiconque la regarde. Des regards directs qui percent le dernier filtre entre le personnage et le spectateur, et sonnent comme un appel à l'aide.

Moodeye
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le 19 mars 2022

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