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La femme qui venait d'ailleurs

Memoria est inouï, c'est un geste incroyable de cinéma, où Apichatpong Weerasethakul, après avoir déjà tutoyé les sommets, atteint ici les cimes les plus hautes. Un film éminemment sensoriel, magique, qui s'éprouve, écrasé de silences et de sons. Dès le premier plan, l'atmosphère et l'esthétique sont mises en place. Jamais elles ne quitteront ce film à l'étrangeté envoûtante, cadré à la perfection, dont la durée de certains plans s'impriment durablement sur la rétine. Le film connaît une progression patiente de l'intensité des climax, pour atteindre son acmé lors de la longue dernière séquence d'un hypnotisme grandiose. Memoria est immense.
Je recommande l'écoute des disques de René Aquarius après avoir vu le film :)


La profondeur de l'illusion


Le film débute par un très lent et doux travelling, dans un silence sépulcral, après la première déflagration.
Ce son pourrait être une représentation du passage du mur du son. 
L'expression « onde de choc » définit bien ce son sourd et profond, qui reviendra habiter, comme un leitmotiv, le film, un son primal, comme venant du centre de la terre, à moins qu'il provienne d'ailleurs.

Les plans larges se succèdent, extrêmement bien composés, soit frontaux ou construits à peu près de la même façon : un angle centré ou non et des lignes de fuite qui donnent une impression de grand angle. Le même traitement est appliqué pour les scènes d'intérieur et d'extérieur, quand ce ne sont pas des travellings. Parfois, la caméra se fait plus mobile, comme atteinte de fébrilité.
La ville de Bogota est filmée dans des tons de gris-vert. Cette gamme chromatique accompagne le film jusqu' à son dénouement, où les couleurs prennent de l'intensité, comme si un rideau s'était déchiré.
Les intérieurs connaissent le même traitement, et sont presque systématiquement le théâtre de scènes étranges, qui à la fois donnent des informations, mais laissent un goût de mystère, d'inexpliqué.
Plus le film avance, plus l'impression qu'il se déroule dans des temporalités simultanées et parallèles est présente. Le voyage vers un village et ce qui s'y passe conclue le film dans une sorte de quatrième dimension.
Memoria s'écoute autant qu'il se contemple  et ce dans une alchimie subtile; explosion mystérieuse dans la rue, pluie dense qui sature l'espace-son, à plusieurs reprises, bruits de l'extérieur tantôt étouffés, tantôt mis en relief, chant de rivière, des oiseaux, tonnerres lointains, la palette est extrêmement riche .
La musique est également présente à plusieurs reprises, mais plutôt parcimonieuse sur la durée du film.
Les sons rompent le silence, dense, presque oppressant, qui surgit parfois brutalement et qui laisse toute la place à l'image.
On parle aussi beaucoup dans Memoria ; Le langage est oral mais aussi gestuel ; dans plusieurs scènes, les mains s'expriment, touchent le corps de l'autre.
Memoria est un voyage initiatique dans l'espace-temps, une énigme existentielle
qui ouvre en grand les champs des possibles, un film qui hante durablement.

abel79
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le 18 nov. 2021

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abel79

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