Prendre les codes et la forme du film des films de genre pour traiter de thématiques sensibles parce qu'actuelles est une tendance qui semble autant judicieuse que périlleuse. Ce mode de narration qui donne pleinement son sens à ces films qui font oublier le temps et les problèmes pour un moment de déconnection, ou plutôt de connexion avec un monde parallèle fut usé à de maintes reprises par des maitres en la matière, comme un miroir des peurs ou des questionnements de chaque époque. Des questionnements oui, plus par les images que par les mots. Une suggestion plus qu'un message clair, propre à embrasser la complexité des thématiques, à explorer au delà du bien et du mal.

Ce cinéma de genre et d'auteur semble donc assez important intellectuellement pour ressentir des thématiques, les voir et les comprendre. Plus que jamais à la période des questionnements d'identité et de constructions sociales, la métaphore, "le message" du film prend autant d'importance que l'horreur, les combats, les ennemis. Mais il faut comprendre la thématique pour bien l'adapter à ses codes, voir l'ambivalence, faire naitre les images capables de la représenter. Ce que fait par exemple Jordan Peele dans ses films "d'horreur" : une nouvelle sorte de racisme, un fétichisme et une fascination malsaine sont représentés dans Get Out par les figures des hôtes faussement accueillants ; le mécanisme de la lutte des classes comme la sélection naturelle ou chacun souhaite prendre la place de l'autre est représenté dans Us par une sorte de home invasion. L'horreur en tant qu'elle investit émotionnellement est capable de faire ressentir la pression, la violence, les peurs ou les désirs enfouis. Elle permet l'exploration quand elle choque ou retourne, crée un sentiment esthétique et ne lorgne pas trop du coté du plaisir coupable. D'un autre coté, le film s'ouvre désormais à des questionnements politiques et la moindre divergence de vision sera attaquée par des communautés souhaitant juger, différencier le bien du mal, valoriser ou supprimer. C'est ainsi que l'utilisation de la forme du film d'art martial léger pour traiter des violences conjugales dans Kung Fu Zohra n'a pas été accepté par le public, oblitérant par son aspect ludique et comique la noirceur et la réelle violence. La réalisatrice par sa volonté d'ambivalence n'a pas su trouver la juste image.

Transition parfaite pour parler de Men, film de Alex Garland, réalisateur qui explore dans son œuvre par la science fiction à penchant horrifique des thématiques actuelles, reliées à une certaine fascination pour la chaire, l'animalité et les "humanoïdes". Ici donc, c'est la forme du home invasion ainsi que les symboles et images de mutation horrifiques qui sont utilisées pour traiter de cette violence que peut infliger l'homme à la femme dans un idéal patriarcal, se diffusant en plusieurs branches de l'enfance à l'âge adulte, représentés par un vicaire tout comme un policier, par des comportements violents ou manipulateurs. Le film est d'ailleurs troublant dans cette diffusion de la domination malsaine qui fait se ressembler tous les personnages masculins, créant une galerie de personnages intéressants qui manque néanmoins de consistance sur certains aspects. Le personnage principal du film, Harper, tout comme le spectateur, ne pourront être apaisés, devront être à l'affut du moindre danger que ce soit lors d'une balade forestière ou dans une bâtisse de campagne. Le film permet de ressentir cette angoisse féminine, d'en comprendre l'horreur en explorant la psyché de Harper. Comme un fantôme, la présence masculine hante le personnage principal, qui doit faire le deuil d'une relation toxique et affronter ses démons, les serpents masculins. En effet bien qu'assez simpliste, la symbolique religieuse de la pomme d'Ève, mettant la faute sur la femme tentatrice malgré elle d'Adam, fonctionne vraiment bien dans la dynamique du film, offrant des images symboliques qui portent un sens. L'arbre perd ses pommes non par la faute de la femme mais par la faute de cette violence. La feuille plus que cacher le sexe de l'homme, vient cacher un comportement bestial. L'homme en vert plus que l'annonce de la période de fécondité est l'annonce de l'ouverture d'une chasse. Le pissenlit comme un parasite, vient féconder. Face à cet appel hormonal, ces hommes bestiaux incapables de se contrôler eux même mais voulant contrôler les femmes qu'ils voient comme les seuls maitres de leurs désirs, le film n'hésite pas à être très corporel, médical, explicite. Chacun s'engendre et possède un orifice dans le final du film difficile et gore, pour faire naitre le mari violent et pervers narcissique de Harper, affrontement final sans coups ni blessures, qui énonce la seule motivation derrière cette barrière de violence : des hormones, un besoin d'affection : l'amour. C'est ici que se trouve l'ambivalence de ce film qui arrive par les émotions de peurs et par la violence de ses images à traiter cette thématique convenablement et de façon marquante, à montrer dans ce comportement humain assez animal et inexplicable un reste d'humanité, à dépasser une haine non salvatrice de l'homme pour un appel à la paix et la prise de conscience. Dans les regards de l'actrice apparait finalement cette flamme dans un sourire final. Malgré ses défauts de construction et son final hésitant laissant un doute inutile, ce film est une nouvelle réussite de Garland, qui témoigne d'un amour du genre humain et horrifique, intimement liés.

On coupe la pomme en deux.

Durax
7
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le 20 juin 2022

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