Mr. Mo (Ju-Bong Gi), coréen la quarantaine, gagne sa vie comme coiffeur/barbier dans une boutique qu’il tient seul. Dans un premier temps (le film comporte 5 chapitres), il semble complètement replié sur lui-même (effet accentué par sa taille modeste et son visage inexpressif), agissant de façon très mécanique et ne répondant quasiment jamais aux sollicitations extérieures. Ainsi, il ne daigne pas répondre à un garçon qui lui dit bonjour en le dépassant en vélo. Dans un grand ensemble anonyme, il vit seul dans un appartement bien installé où on remarque un bureau, des carnets soigneusement alignés sur une étagère, mais aussi un poste TV bien vieillot sur lequel il visionne, fasciné bien que le connaissant probablement par cœur, un enregistrement vidéo familial. Enfin on observe une manifestation émotionnelle quand il tape du poing sur son lit parce qu’il n’arrive pas à dormir malgré le bandeau noir sur ses yeux. Autre réaction, il refuse la nourriture que vient lui proposer la femme de son frère. Serait-il divorcé, séparé ou veuf ?


La question ne reste pas trop longtemps en suspens, car son fils lui rend visite (à sa demande). C’est un grand jeune homme un peu gauche, petite vingtaine, qui arrive avec une fille de son âge. Sa copine ou sa sœur ? Nouveau questionnement parce qu’on sent une certaine complicité, tout en observant l’absence de rapprochement physique.


Ces observations sont à l’image du film qui montre la vie de Mr. Mo en prenant son temps et en installant une ambiance étonnante, avec beaucoup de touches d’un humour décalé qui fait mouche régulièrement. Au fil des chapitres, on apprend à mieux connaître Mr. Mo qui n’est pas si coincé que ça. Il pourrait même sortir d’une longue période de déprime, pour enfin se réaliser personnellement. Le déclic est probablement donné par son médecin qui affirme qu’il devrait absolument se soigner.


Tout bien réfléchi, Mr. Mo préfèrerait prendre l’air plutôt que de se soigner. C’est ainsi qu’il commence à voyager avec la complicité de son fils et de sa compagne. En même temps que Mr. Mo s’ouvre à son entourage en se montrant un peu plus loquace, la caméra élargit son champ en nous montrant des paysages et en apportant davantage de mouvement.


Si le titre du film rappelle Merry Christmas Mr. Lawrence (titre original du film Furyo), il faut surtout voir la tournure anglophone dans un titre de film coréen. Pour une fois, l’américanisation du titre correspond à quelque chose : la fascination de Mr. Mo pour l’Amérique. Une fascination qu’on retrouve par exemple dans cet accessoire vertical qui tourne sans fin devant la boutique de Mr. Mo. Soulignée par la BO à la guitare, elle se traduit également par un goût prononcé de Mr. Mo pour le cinéma américain. Parlant de ses acteurs favoris, le premier qu’il cite est Kirk Douglas, ce qui ne l’empêche pas d’apprécier les cinémas français et italien par exemple. Mais son modèle, c’est Charlie Chaplin et son inimitable démarche (avec, là, un accompagnement au piano).


Et puis, Mr. Mo a un jardin secret. Son fils étant réalisateur pour le cinéma (1 film à son actif), Mr. Mo joue cartes sur table avec lui, en proposant de tourner un scénario qu’il tient en réserve. Mr. Mo trouve ainsi un bon prétexte pour prendre la voiture direction Séoul. Il aime à se présenter comme un ancien habitant de cette ville alors qu’il n’y a séjourné qu’assez peu. Pourtant, il voudrait y retrouver une femme. De quoi faire réagir le fils. C’est peut-être ce qui incite Mr. Mo à lui faire une révélation totalement inattendue.


Ce film coréen tourné dans un superbe noir et blanc très élégant est une bonne surprise. Il tourne autour du personnage de Mr. Mo qui prend de l’épaisseur au fil de scènes souvent cocasses. Le réalisateur aime créer une complicité avec le spectateur. Ainsi, il choisit plusieurs fois un angle de prise de vue qui nous met dans une situation d’attente, ce qui ne l’empêche pas de trouver un enchainement inattendu. Notamment avec la jeune femme que Mr. Mo rencontre à la piscine où il va nager régulièrement. Occasion pour le spectateur de réaliser que Mr. Mo a un caractère particulier, du genre tête de mule. Concrètement, il recherche la tranquillité, mais il déteste que les choses ne se passent pas comme il le souhaite.


D’un personnage qui ne cherche jamais à se rendre agréable, le réalisateur réussit à faire sourire pendant un peu plus d’1h30 sans aucun mauvais goût. Simplement, le pudique Mr. Mo vit à sa façon, régulièrement surprenante, en assumant son passé et ses habitudes de solitaire. Finalement, Lim Dae Hyung le rend attachant. En le plaçant de nombreuses situations improbables et en jouant sur une capacité inattendue de comédien (complètement hors norme, en jouant la carte du burlesque façon Chaplin), il tisse un drame familial qui retient l’attention du spectateur de bout en bout, jusqu’à une scène finale bouleversante.


Présenté au festival du film coréen à Paris le 30 octobre 2017.

Electron
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Cinéma asiatique "moderne" et Vus au ciné en 2017

Créée

le 2 nov. 2017

Critique lue 475 fois

6 j'aime

Electron

Écrit par

Critique lue 475 fois

6

D'autres avis sur Merry Christmas Mr. Mo

Merry Christmas Mr. Mo
Khidarion
8

Critique de Merry Christmas Mr. Mo par Khidarion

Mr Mo, coiffeur-barbier taciturne, mène invariablement la même routine de vie depuis la mort de sa femme : boulot, piscine, diner au restau, dodo. Quand il apprend qu'il a un cancer, il demande à son...

le 31 oct. 2017

3 j'aime

Merry Christmas Mr. Mo
Zarbondu74
7

Critique de Merry Christmas Mr. Mo par Zarbondu74

Côté histoire, on va passer du quotidien de monsieur Mo à un road-movie pour faire un film, c'est simple mais efface, avec une relation père-fils qui offert de belle scène touchant mais qui reste...

le 16 mai 2020

1 j'aime

Merry Christmas Mr. Mo
Halin
8

Critique de Merry Christmas Mr. Mo par Haëlin

Toute la difficulté qu'il y a à visionner un film lors d'un festival réside dans la volonté de faire abstraction des autres films vus dans un temps très court sans être sur d'y parvenir totalement...

le 30 oct. 2017

1 j'aime

Du même critique

Un jour sans fin
Electron
8

Parce qu’elle le vaut bien

Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...

le 26 juin 2013

111 j'aime

31

Vivarium
Electron
7

Vol dans un nid de coucou

L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...

le 6 nov. 2019

78 j'aime

4

Quai d'Orsay
Electron
8

OTAN en emporte le vent

L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...

le 5 nov. 2013

78 j'aime

20