Il est suffisamment rare de voir un film tibétain pour y prêter une attention particulière.
Pour nous autres Occidentaux, Milarepa est un film qui pourra paraître lent, au jeu d'acteur très mauvais, au cadrage simpliste composé d'une caméra unique peu mobile, sans effets. Loin des standards cinématographiques qui fait de nous des spectateurs exigeants, voire superficiels.
Il faut alors accepter que Milarepa obéisse aux codes d'une autre culture, éloignée de la nôtre par son approche épurée, débarrassée des artifices matériels qui constituent notre cinéma. Car au-delà de la surface des effets de style, l'histoire de Milarepa a quelque chose d'universel que l'on retrouve dans toute culture : la rédemption, la fuite, la vengeance, la recherche du bonheur, de la paix intérieure. Des thèmes qui rappelleront aussi bien l'histoire du Bouddha que celle de Jésus ou Moïse.
Le rythme du film est extrêmement lent, car le temps prend ici une autre dimension, loin de nos courses effrénées pour le remplir. D'ailleurs, l'histoire du film se déroule au XIè siècle et pourrait tout aussi bien être contemporaine, tant le temps semble s'écouler au ralenti dans ces montagnes arides et désertes.
Milarepa, la voie du bonheur conte l'histoire légendaire d'un jeune homme volé de ses biens matériels par un chef de village sans scrupules, qui partira dans les montagnes afin de suivre les enseignements d'un maître-sorcier auprès duquel il apprendra la magie et s'en servira pour se venger des villageois qui ont ruiné sa vie et celle de sa mère. Mais une fois sa vengeance obtenue, il découvrira qu'il n'en est pas heureux pour autant, que sa souffrance s'est transmise aux villageois et que la boucle sans fin (le karma) n'a pas disparu.


Et c'est là que le film de Neten Chokling prend une dimension que l'on rencontre rarement dans le cinéma occidental : alors que dans notre culture la vengeance est une fin en soi, pour les Tibétains elle est une impasse conduisant à d'autres sentiments négatifs.
Milarepa est également une critique de notre société matérielle, attachée à la richesse et à la domination par la possession, sans égard pour nos semblables. Déshumanisée.


Plus qu'un film, Milarepa est une mise en image d'un conte millénaire, dans la pure tradition tibétaine de transmission de l'Histoire, qui fait écho à notre propre culture. Prévu pour être diptyque, la suite n'a jamais vu le jour.


NDLA : La scène de l'éveil de Milarepa est frappante de réalisme. Complètement psychédélique et inattendue, elle représente parfaitement ce qu'est le Nirvana. Pour les psychonautes, elle aura un air très familier et fascinera par sa similarité avec les visions induites par la DMT (voir à ce sujet le documentaire DMT, la Molécule de l'Esprit ou la séquence finale du film Blueberry). Le film vaut d'être vu juste pour cette scène (58ème minute) et montre ce que l'esprit est capable d'atteindre, au-delà des manifestations du monde sensible. La méditation ouvre les portes d'un royaume intérieur que seuls ceux qui les ont ouvertes (ou au moins vues) pourront pleinement comprendre et ressentir.


NB : la musique est fantastique de bout en bout. Le Tibet, terre de vibrations, est une source d'inspiration sonore pour bon nombre de compositeurs occidentaux (Philip Glass est d'ailleurs remercié dans le générique final) et offre ici une ambiance musicale superbe.

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le 13 févr. 2016

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Fortynine Days

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