Cafard mon (dés)amour

La pluie d’Oscars réservée à Guillermo del Toro en 2018 pour son magnifique La Forme de l’Eau sonnait comme une revanche pour un réalisateur dont le début de carrière à Hollywood fut loin d’être un chemin tout tracé. Résultat d’un véritable parcours du combattant infernal semé d’embûches, le premier film du réalisateur mexicain aux États-Unis porte le nom de « Mimic », un projet particulier et ambitieux pour del Toro, désireux de laisser s’exprimer pleinement sa passion pour l’entomologie. Et à raison, car Mimic est un récit d’horreur dans lequel la ville de New York est en proie à une terrible épidémie touchant tout particulièrement les enfants, engendrée par une incontrôlable prolifération de cafards. Pour mettre un terme à ce déluge d’insectes digne d’une plaie d’Égypte, la ville fait appel au Docteur Susan Tyler, généticienne et entomologiste de génie, qui propose d’utiliser une arme biologique : les « Judas », des insectes hybrides porteurs d’une enzyme destructrice pour les cafards. Trois ans plus tard, la maladie est éradiquée mais la solution trouvée a malencontreusement donné vie à une nouvelle espèce d’insectes, capable d’imiter ses proies humaines.

Introduit par un superbe générique « Se7en-esque » réalisé par Kyle Cooper, Mimic instaure une ambiance sale et poisseuse tirée du film noir, en explorant les égouts infâmes de Manhattan, éclairés par la sublime lumière de Dan Laustsen. Un décor captivant dans lequel demeure une créature insectoïde, un « Judas » plus évolué, capable de copier la silhouette d’un être humain pour le dévorer et assurer sa survie. Le soin tout particulier accordé au design (très réussi) du monstre et à sa représentation à l’écran, grâce à une mise en scène et un découpage toujours très précis, font de chacune de ses apparitions de purs instants d’épouvante, teintés d’une étrange poésie.

Si del Toro arrive à contourner avec talent l’aura nanardesque d’une telle créature pendant la première heure, les envies de série B décérébrée de Bob Weinstein dévorent par la suite Mimic, transformé en une sorte d’ersatz du Aliens de James Cameron avec cette fois-ci des dizaines de cafards géants s’attaquant violemment aux personnages. Cette mutation en un « survival » ultra-classique, fait complètement s’écarter le film des intentions premières de son auteur, ici dépossédé de son œuvre, du tournage jusqu’au banc de montage. L’ambiance travaillée des premiers instants du film, poétiques et chargés d’une dimension mythologique axée autour du Judas, disparaît pour laisser place à la bourrinerie la plus facile. Alors que le soin apporté au cadre et la photographie semble rester cohérent avec le reste du long-métrage, ce qui s’y passe à l’écran n’est à aucun moment traversé par la patte de son réalisateur.

Mimic a fait l’objet de reshoots triturant davantage la vision d’origine du réalisateur et troublant au visionnage la frontière permettant de définir ce qui relève réellement du pur sabotage orchestré par Miramax ou du travail de del Toro. La fin explosive, résultat d’un compromis avec la production, est en cela d’une banalité déconcertante, anéantissant jusqu’à la dernière minute du film le restant d’ambition injectée par del Toro dans le traitement d’un récit qui avait pourtant tout pour laisser son esprit artistique délirant s’épanouir pleinement.

Mimic est un film malade, bicéphale, le résultat d’un échec créatif total dans lequel s’est éteint à petit feu son réalisateur. Guillermo del Toro en tirera finalement de précieuses leçons et réalisera par la suite le très beau L’Échine du Diable et l’incroyable Blade 2, malgré cette expérience éprouvante auprès des ogres Weinstein.