Miss Hokusai
6.4
Miss Hokusai

Long-métrage d'animation de Keiichi Hara (2015)

Il est difficile de deviner à quoi s’attendre quand on évoque Keiichi HARA ; après des années de fidélité au personnage de Doraemon et à la série Crayon Shin-Chan, HARA s’est illustré au cinéma en 2007 avec le très cartoonesque et (d’apparence) très enfantin Un Été Avec Coo. La consécration vient avec Colorful, au thème plus grave et au design plus épuré, qui lui vaut une mention spéciale et un prix du public au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2011.
Keiichi HARA fait un retour remarqué dans les salles obscures avec Miss Hokusai. Adapté du manga Sarusuberi de Hinako SUGIURA et scénarisé par Miho MARUO, qui avait déjà collaboré avec HARA sur Colorful, le film produit par le studio Production I.G. (Ghost In The Shell, Lettre À Momo, L’Île De Giovanni) s’est également illustré au Festival d’Annecy en remportant le prestigieux prix du jury.


Nul besoin de présenter le peintre Katsuhika Hokusai (1760-1849) dont les Trente-Six Vues Du Mont Fuji, et plus particulièrement La Grande Vague de Kanagawa sont devenues des icônes pop, ambassadrice de l’art traditionnel japonais à travers le monde. Personnalité moins connue cependant : la fille du maître, O-Ei. L’approche de Miss Hokusai est originale ; se focaliser sur la grande oubliée de l’histoire, qui dessinait dans l’ombre du maître. Troisième des quatre filles de Hokusai, la jeune femme a souvent dessiné à la place de son père sans jamais être créditée. Aujourd’hui, les historiens ne disposent que de très peu d’informations sur la fille de Hokusai, et ces informations sont bien souvent contradictoires. On ne répertorie qu’une dizaine d’œuvres attribuées avec certitude à O-Ei et la littérature nous étant parvenu est pour la plupart indéchiffrable.


Bien que présenté comme tel, Miss Hokusai n’est pas un film biographique. Le film distille le peu d’informations que nous possédons sur la vie et l’œuvre de O-Ei et nous offre finalement quelque chose de bien plus fort qu’un simple biopic : un véritable voyage dans le temps. En effet, la grande réussite du long métrage est la recréation en animation de la ville d’Edo du début du XIXe siècle. À l’époque déjà, l’ancienne Tokyo était une des capitales les plus peuplées du monde, grouillant de samouraï, de paysans, de marchands et d’artistes. Contrairement à Hinako SUGIURA, qui a écrit le manga original sur lequel le film est basé, Keiichi HARA annonce ne pas être un spécialiste de la période Edo et a du procéder à des recherches poussées pour recréer cette ville, qui a été détruite au moins deux fois avant de devenir le Tokyo que l’on connaît aujourd’hui. Comme il l’a annoncé, Keiichi HARA espère que l’auteur du matériau d’origine serait fière du travail de recherche et de la représentation d’Edo du film si elle avait pu voir l’adaptation de son manga.


Afin de ne, justement, pas tomber dans la catégorie film biographique, Keiichi HARA prend à contre-pied la réalité historique des faits et des ambiances en s’autorisant, notamment, une musique originale étonnamment très contemporaine dès les premières minutes du film ainsi que quelques écarts surnaturels, empruntés au manga. Miss Hokusai alterne ainsi brillamment entre réalisme et fantastique en faisant appel à plusieurs mythes et créatures du folklore japonais afin de donner un ton surnaturel au mystère qui entoure l’inspiration et la création artistique.
Keiichi HARA joue également avec son sujet en s’amusant à placer les toiles de Hokusai dans les actions de ses personnages, le personnage de Zenjiro posant dans des situations inspirées du Hokusai Manga publié en 1814, ou même dans les décors de son film, le placement de la fameuse Grande Vague De Kanagawa, quoiqu’un peu forceuse, est un joli clin d’œil à l’œuvre du maître. Plusieurs références sont également faites aux travaux de Hokusai afin d’ancrer le film dans une certaine réalité historique, comme la performance du colossal Dharma de 1804, où un portrait gigantesque de Dharma (ou Bouddhadharma), le moine légendaire créateur de la secte Zen, a été dessiné par Hokusai lors d’une performance donnée au temple Gokokuji d’Edo.


Cependant, en multipliant les références, le film s’est heurté au principal écueil qui le guettait : trop s’attarder sur le maître Hokusai sous couvert de dédier le film à sa fille O-Ei. En effet, la grande promesse du film est à moitié mensongère ; comme on ne sait quasiment rien de la fille, le film se focalise plus sur les travaux du maître en accordant cependant le point de vue sur l’histoire sur le personnage d’O-Ei. Une jolie pirouette pour un film qui se voulait dédié à cette grande oubliée de l’Histoire ; finalement, Miss Hokusai est davantage un film sur Hokusai du point de vue de sa fille.
Miss Hokusai jouit de bonnes idées dans la construction du film mais s’avère être un peu simpliste dans l’ensemble. Arrivé à la fin du film, il n’y a rien de palpable qui puisse nous retenir dans l’univers de Hokusai et de O-Ei. On retrouve dans ce nouveau film de Keiichi HARA ce qui péchait déjà dans ses réalisations précédentes ; Un Été Avec Coo et Colorful faisaient preuve d’une grande originalité dans leurs scenarii, mais in fine, les films n’étaient pas au niveau de leurs promesses. Pas assez poussés, trop en surface, ils n’étaient pas ce qu’ils auraient pu être ; et c’est malheureusement également le cas avec Miss Hokusai.
Bien que le parti-pris de Keiichi HARA soit de ne pas s’enfermer dans un film biographique, le film est extrêmement pauvre en informations factuelles. Ainsi, pendant que le film étale son intrigue et ses personnages, on manque cruellement d’informations qui pourrait nous replonger dans la vie durant la période Edo. On aimerait par exemple en savoir plus sur le processus complexe de créations des estampes japonaises, procédé fastidieux et demandant l’implication de nombreux artisans au-delà du dessinateur de l’œuvre, mais le film est extrêmement avare en informations documentaires.
Au lieu d’approfondir correctement quelques questions simples, le film se perd dans les personnages secondaires. Certes, ces personnages sont des personnes avérées de l’entourage de Hokusai à l’époque, mais cette multiplication des seconds rôles nuit à l’histoire du film. Cependant, certaines sous-intrigues parviennent à créer quelques jolis moments ; le très jeune personnage d’O-Nao, quatrième fille de Hokusai et abandonnée par celui-ci, offre des séquences très touchantes ponctuant le film. De même, l’ultime plan de Miss Hokusai illustre avec une belle intelligence l’intemporalité des œuvres de Hokusai et permet de nous raccrocher à cette réalité historique qui peut nous sembler à des années lumières de notre époque.


Sans être le film de l’année, ni le film qui révolutionnera le monde de l’animation japonaise, Miss Hokusai reste très honnête et nous offre un sympathique moment de divertissement à travers l’Histoire du Japon.


Critique à retrouver sur Journal Du Japon.

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le 3 sept. 2015

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