Mobile Men
7.2
Mobile Men

Court-métrage de Apichatpong Weerasethakul (2008)

Il s'agit d'un travail érigé dans le cadre du cours Histoire du Cinéma, pour Mr. Dumas à l'ENS de Lyon. Ce dernier consiste en l'analyse d'un court-métrage d'Apichatpong Weerasethakul.

Mobile Men est un court métrage réalisé par Apichatpong Weerasethakul en 2008, après le long-métrage Syndromes and a Century, après le court métrage Life on Mars et avant le court-métrage Vampire réalisé pour Louis Vuitton. D’une durée de 3 minutes et 15 secondes, filmé en 35mm avant d’avoir été passé en copie digital [...], il s’agit d’une partie du film Stories on Human Rights, rassemblant plusieurs court-métrages de réalisateurs divers [...] afin de marquer le 60ième anniversaire des déclarations universels des Droits de l’Homme. Apichatpong Weerasethakul décrit sur son site le projet comme le rassemblement de 22 courts-métrages sur des thématiques variées que sont la culture, le développement, la dignité, la justice, l’environnement, le genre et la participation.

Mobile Men se déroule à l’arrière d’un pick-up, dans la remorque, où 2 travailleurs migrants, Jaai Loongsu et Nitipong Thinthupthai [...], se mettent en valeur face à la caméra de Apichatpong Weerasethakul. Ils sont donc trois à l’arrière d’une voiture en mouvement le long d’une route de campagne. Chacun prend tour à tour l’attention de l’objectif, n’hésitant pas parfois à prendre la caméra des mains du réalisateur. Ils ont le contrôle sur leur image, pointant du doigt certains vêtements, dessinant leur contour, appuyant sur les marques, attendant du cadreur qu’il les suive au moindre geste. Le cadre capture aussi l’intimité de ses personnages, lorsqu’ils se mettent torse nu, exhibant leurs tatouages, leurs muscles. Ils montrent tout ce qui fait partie d’eux-mêmes, ce qu’ils considèrent comme représentatif de leur personne. Apichatpong Weerasethakul vient aussi pointer quelques détails du corps encore plus intime, comme le téton de l’un des protagonistes. C’est la caméra se tournant vers eux qui leur permet de s’exhiber face au monde, face aux autres, de montrer leur dignité, leur fierté, leur confiance en eux, dans toute leur réalité. Eux en ont bien conscience, tournant cela à leur avantage. Le cadre vient aussi filmer la nature environnante, celle autour de leur trajet. Une nature verdoyante, la lumière du soleil se levant (ou se couchant), les quelques usines autour de la campagne. Apichatpong Weerasethakul cherche à montrer ces migrants, souvent absents des images, absents du paysage Thaïlandais, afin de leur redonner une visibilité, une façon de s’exprimer, dans toute leur splendeur.

La caméra utilise plusieurs procédés afin de rentrer dans leur monde, le tout sans presque aucune parole. Tout d’abord, le mouvement du véhicule laisse flotter dans le vent les cheveux de ses protagonistes, donnant cette impression de vitesse (en filmant le mouvement de profil), comme étant face contre le vent, contre les éléments. Une façon de représenter leur combat, mais aussi leur volonté, droit face aux autres. En alternant le gros plan et les plans large, l’image explore leur corps. Apichatpong Weerasethakul, qui s’occupe majoritairement du cadre, n’hésite pas à changer d’objectif en plein plan afin de jouer sur les perspectives, sur la profondeur de champ, donnant plus d’impact au relief. Il semble filmer à l’improviste, apparaissant même à l’image, mais le tout donne pourtant l’impression d’une chorégraphie. C’est le suivi du cadre sur les doigts des protagonistes, cherchant à dessiner les tatouages qui parcourent leurs corps, qui crée cette dynamique visuelle. Dans ces tatouages résident leur fierté et leur martyr. C’est ce cri poussé par Jaai à la fin du court-métrage, exprimant la douleur ressentie lors de la création de son tatouage, qui représente cette dualité, entre euphorie et douleur. Ces tatouages, ces vêtements, ces corps sculptés, ce sont une façon pour eux de se montrer aux autres, aux femmes comme aux hommes. Apichatpong Weerasethakul passe par certains procédés filmiques pour amplifier leur image. L’utilisation de cadre en contre-plongée permet de sublimer leur présence. Face à la caméra, droit, exhibant leurs muscles, ils se mettent en valeur. Ajouté à cela la présence de la lumière du soleil, mise en arrière, créant un éclairage particulier sur leur peau, mettant la forme de leur corps en valeur, c’est comme si les deux migrants étaient héroïsés par la caméra du réalisateur Thaïlandais.

Un cri suffit parfois à dire dans un déchirement et son inanité, et sa conviction viscérale. De tels élans habitent ici la forme de quelques corps de jeunes gens, transportés à l’arrière de pick-up trucks giflés de vent, tatoués, habillés de pied en cap de leurs incertitudes. (Jean-Pierre Rehm, FIDMarseille, 2011).

Ce cri que pousse Jaai, lorsqu’il arrache son micro-cravate, le collant sur son tatouage, apparaît comme ce cri double, de douleur et de joie. Ce qu’expose Jean-Pierre Rehm [...], c’est que les personnages, par leur position instable, sont traversés de doute face à leur avenir, à leur travail et leur vie. En hurlant ainsi, ils expient leur souffrance, la changeant en cri de virilité, de joie intense. Ils sont l’exact inverse du personnage migrant de Blissfully Yours, ce dernier préférant le mutisme pour sa propre survie. Ici, c’est le cri qui les impose face au monde, ce qui montre leur humanité.

Il ne faut pas oublier ce que mentionne le titre, à savoir le mouvement, la mobilité. Tradition du cinéma de Apichatpong Weerasethakul, le trajet en voiture fait souvent irruption dans son œuvre. Ici, c’est surtout la mobilité de la migration, celle illégale qu’ils affrontent à bras ouvert en traversant les frontières. La mobilité, c’est un appel à la liberté, à dépasser les restrictions politiques. C’est en cela que ce court-métrage répond beaucoup au film Blissfully Yours, par son point de vue sur la migration en Thaïlande, et ce besoin de le remettre au premier plan. Le fait de se filmer en mouvement, pour des migrants, c’est un acte politique, une revendication. Celui de rappeler leur dure existence. Dans l’article de Rob Dennis [...], il est question de l’inquiétude de Apichatpong Weerasethakul face aux immigrants venant en Thaïlande depuis la Birmanie, le Laos et d’autres pays voisins. Suite au coup d’ État de septembre 2006, les droits des migrants ont été en partie réduits, avec des interdictions de sortir la nuit, d’avoir un téléphone ou encore de conduire une motocyclette.

Avec ce film, le réalisateur Thaïlandais redonne une image aux migrants dont les nombreuses interdictions régissent leur vie. Il leur redonne une présence au sein de son pays. En se rappelant que le court-métrage provient d’un film sur les Droit de l’Homme, on comprend rapidement la position de Apichatpong Weerasethakul. Tous les Hommes sont égaux, et méritent leur place à l’image, et ceux dans n’importe quelle circonstances. On remet le peuple en avant dans l’image. L’Homme est libre, et c’est ce que filme Apichatpong Weerasethakul.

Bibliographie :

  • FEBLER, Nadine, « Mobile Men », 2010. Sur le site Notes on Metamodernism.
  • REHM, Jean-Pierre, au « FIDMarseille », 2011. Sur le site FilmDoc.
  • WEERASETHAKUL, Apichatpong, « Mobile Men » sur le site Kick the Machine.
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le 5 déc. 2022

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