Moi capitaine
7.1
Moi capitaine

Film de Matteo Garrone (2023)

Succès pas si surprise en Italie, le nouveau film de Matteo Garrone est peut-être la réponse la plus simple et évidente à l'Italie raciste de Giorgia Meloni, et à toute les montées fascisantes sur le contient européen.


En présentant le parcours de deux jeunes sénégalais quittant tout pour rejoindre l'Europe (en l'occurrence l'Italie), Garrone se veut direct, franc, efficace, à défaut d'être original. Son film n'y va pas par quatre chemins pour présenter la difficulté de cette réalité.

Mais en prenant la forme du récit initiatique, voire du conte, genre qu'on sait cher au réalisateur, il joue avec des codes trop convenus qu'il ne cherche jamais à transformer. Moi Capitaine se fait donc vite (longue) liste exhaustive et classique mais non moins tragique du parcours migratoire : traversée de péripéties, d'épreuves, de joies, de dilemmes et de personnages secondaires attendus... Le tout enchaîné dans un montage pénible résumé à une succession de fondus enchaînés elliptiques assez embarrassants.


Cette simplicité on l'a dit est efficace, puisqu'elle rappelle, ou apprend à ceux qui ne le sauraient pas (ou ne voudraient pas le savoir), et fait sentir ce que c'est que de traverser l'Afrique subsharienne et la Méditerranée pour chercher un avenir qu'on imagine meilleur sur le continent d'en face. Mais elle n'apporte rien d'un point de vue cinématographique, n'ajoutant rien aux images atroces dont débordent malheureusement les médias et dont le public occidental devient, las, presque indifférent. Pire encore, les personnages choisis, aussi touchant que soit le héros (poignant Seydou Sarr), semblent n'être que d'utiles illustrations d'une réalité, vecteurs, contre eux, d'un message qui les dépasse, plus que de réelles personnalités en quête d'objectifs propres et écrits dont on s'intéresserait au parcours pour ce qu'il est.

Alors certes il faut reconnaître à Garrone quelques séquences mémorables par leur extrême dureté, notamment lors de la traversée de l'enfer lybien qui permet au cinéaste de creuser un peu plus loin sa recherche des frontières et marges de l'humanité. Mais tout ceci est fréquemment perturbé par l'incursion irrégulière et faussement salvatrice du rêve qui sort in extremis le spectateur de situations cauchemardesques. Il ne faudrait en effet pas trop montrer l'horreur, insupportable, de peur de choquer. Ces recours scénaristiques faciles et dommageables sont autant d'aveux d'impuissance et de lâcheté d'un réalisateur qui, par manque de courage peut-être, a préféré au film radical et politique (dont il avait pourtant signé l'une des plus belles paraboles avec le chef d'œuvre Dogman), le conventionnel, naïf et larmoyant, plaçant toute son œuvre dans un décalage embarrassant, pour ne pas dire problématique. Par ses enjeux évidents, ses dialogues réduits au plus utile, la naïveté de ses personnages (jeu très dangereux puisqu'il les confronte par la fiction à des spectateurs sachants, donc forcément supérieurs), Garrone livre un film desincarné, éloigné de sa réalité, refusant, par ambition de toucher le grand public, sa cruauté et la pleine et juste représentation de cette horreur contemporaine. Pire encore, en finissant son film trop tôt dans un happy end véritablement problématique, il le vide de son potentiel politique, celui qu'on attendait, et refuse à l'Europe (donc à une majorité de ses spectateurs) de se regarder elle-même et de se questionner, éludant donc l'idée pourtant simple que l'enfer ne s'arrête pas aux portes de l'Europe, et que le parcours de nos refugiés est loin d'être fini.


Peut-être est-ce aller trop loin face à ce film dont on ne doute aucunement des bonnes intentions et dont on souhaite même que son succès braque un projecteur supplémentaire sur la question humanitaire de l'immigration et déclenche, pourquoi pas, des vocations.

Charles_Dubois
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le 8 janv. 2024

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Charles Dubois

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