Xavier Dolan se libère d’un poids, et avec Mommy, il compose avec un certain brio toutes les caractéristiques de son cinéma si ambivalent et clivant. Cinquième film du jeune réalisateur, Mommy est avec Laurence Anyways, le deuxième long métrage où Xavier Dolan ne se retrouve pas acteur dans l’une de ses réalisations, lui permettant de s’amuser avec ses acteurs et ne pas alourdir son film d’effets de style surlignant sa présence. Comme s’il retrouvait une humilité qu’on ne lui confère pas souvent. Après une tentative un peu trop factice pour engendrer un ton plus adulte et plus mature à son cinéma avec le thriller sadomasochiste Tom à la ferme, le réalisateur canadien revient à ce qui fait sa force (mais aussi ses défauts), c’est-à-dire un style beaucoup moins épuré, beaucoup plus clinquant, sa grandiloquence juvénile et psychédélique, sa mise en scène au montage parfois surdécoupé, son fétichisme des gestes et des visages, son sens du rythme clippesque, sa musicalité pop et prépondérante, son style 80’s.
Ce cadre, en 1 :1 (à deux reprises, le film changera de format) permet d’empaqueter son univers haut en couleur mais jamais jusqu’à l’asphyxie. Pour certains, le film sera un immense fourretout dégoulinant de couleur exécrable, avec un ton et une imagerie un peu beauf mais même s’il est impossible de ne pas s’étendre sur la forme visuelle d’une œuvre de Xavier Dolan, Mommy est la preuve vivante, comme l’était Laurence Anyways, que Xavier Dolan sait faire vivre un récit, créer et donner de l’ampleur à des personnages où chacun joue un rôle précis et précieux. Il montre un amour tout particulier pour ses personnages, les regarde avec compassion et bienveillance malgré une tristesse perturbante qui entourera toute la durée du film. Mommy, est à l’image de Steve, enfant survolté, dynamique, ne restant jamais en place un seul moment, charismatique et sale gosse, un douloureux émotif, qui déploie une féroce envie de liberté et une puissance émotionnelle à en perdre raison. Xavier Dolan reprend son thème favori, celui des amours imaginaires, le lien familial et maternel, un amour/haine révélateur, un rapport indestructible de je t’aime moins non plus qui dévore de l’intérieur.
Mommy, c’est l’histoire de Diane, une mère dont le mari est mort et qui doit s’occuper de son fils pris de troubles affectifs et comportementaux et n’étant plus acceptés dans les internats par son excès de violence. Ils vont essayer de former un « team » pour s’en sortir, un duo marginal à la verve pétaradante, qui se déchire violement, s’étrangle, tout comme ils dansent de façon langoureuse ou préparent des repas avec amour. Diane aime son petit « gars » et fera tout pour lui, quitte à essayer de baiser l’idiot de juriste. Cela permettant à Dolan de construire son film à travers une rythmique narrative parfaite où drôlerie de langage et tristesse de situation fonctionne parfaitement. Mommy, c’est une boule de nerf cosmique, tout sauf subtile, mais dont la générosité permet de toute de suite s’identifier à des personnages ultra attachants et qui ne manquent pas de profondeur. Dans leur débrouille un peu merdique, le couple va se voir aider par la voisine, par l’excellente Suzanne Clément, interprétant le rôle d’une ancienne enseignante, connaissant des troubles de communications depuis un tragique évènement familial dont elle ne parlera pas mais qu’on comprendra par le biais d’une photo.
Dolan a un sens du rythme, un sens du burlesque un peu naïf et cheap complétement assumé et remporte le magot par son trio d’acteur génial. Ils sont le symbole du cinéma de Xavier Dolan. Parfois esthétique, mais parfois grossièrement bariolés, mais d’un naturel sans borne, une main tendue vers une émotion intime. Il y a un excès total chez Dolan, mais de façon contagieuse, aspire le film vers des sentiments qui eux, ne sont jamais pré fabriqués. C’est l’histoire d’un fils qui veut aider sa mère, sa « priorité », le récit d’une mère qui faire face aux obstacles et qui ne cessera jamais d’aimer son fils ; et la perspective d’une femme pour combler les trous de son passé vivant dans un malaise familial pesant. Mommy, c’est un portrait magnifique de trois laissés pour compte qui veulent juste essayer de gagner la partie, un dernier saut vers l'inconnu.