Ouverture du film : plan d’ensemble sur les cimes enneigées des Alpes. Blanc immaculé, virginal. Image d’une renaissance.
La naissance a eu lieu 10 ans plus tôt lorsque Tony (Emmanuelle Bercot, prix d’interprétation féminine à Cannes), pétillante avocate désarmée et désarmante tombe (chute) follement amoureuse de Georgio (Vincent Cassel magnétique), playboy irrésistible, manipulateur narcissique, fêtard impénitent et bourreau annoncé.
Il s’aiment, se marient, se déchirent, divorcent… et recommencent.
La renaissance n’aura pas lieu. Le présent ne succède pas au passé, il se confond avec lui. Son histoire avec Georgio semble derrière elle. Mais à présent, Tony tombe de très haut (à ski), se fait une rupture du genou (je/nous), finit par (presque) toucher le fond (de la piscine) lors de sa douloureuse convalescence, croit refaire surface avant de sombrer à nouveau (le tendon lâche encore). Désillusion, souffrance, détresse. Verticalité d’un récit qui condamne Tony à subir cette même fatalité. Encore et toujours. C’est un mythe grec transposé : Tony/Sisyphe aux prises avec Georgio/Thanatos.
Au gré des séances de rééducation, Tony se remémore son histoire avec Georgio et la partage ainsi avec le spectateur. C’est tout le talent de Maïwenn qui use – mutatis mutandis – de cette habile métaphore de la rééducation, pour parler de cette souffrance du cœur, de cette tragédie programmée. Ce chant de signes (du cygne ?), cette élégie, le spectateur n’entend, ne voit que ça. Pas Tony. Tout est là pourtant, sous ses yeux trop souvent embués. Trop grand, trop évident : les images télévisées de ce cervidé abattu sans pitié sur un flanc de montagne ou de cette jeune femme qui chute violemment d’une structure gonflable ; le roman que lit Tony – La vie devant soi – de Romain Gary (sous le pseudonyme d’Emile Ajar), auteur qui, à l’instar de Georgio, se « cache » derrière une nouvelle façade acceptable ; Georgio qui s’autoproclame « roi des connards » ; ou bien encore cette ex toujours trop présente.
Mon Roi est l’histoire d’un aveuglement, d’une cécité insupportable, d’une torture consentie. A l’image des seconds rôles (Louis Garrel impeccable) qui partagent cette impuissance, on veut aider Tony à conjurer le sort qui la confine inéluctablement à ce supplice. Balzac le lui crierait aussi : « Dans un couple, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie ».
Ultime flash-back : le film se termine dans une salle de classe. Peu avant l’épisode alpin du début, à l’occasion d’une réunion scolaire à laquelle les ex-tourtereaux sont conviés pour faire le bilan de leur fils. C’est une magistrale leçon. De cinéma cette fois.
La brillante réalisatrice de Polisse joue ici avec son schéma initial du cycle éternel amour/rupture et déjoue les attentes du spectateur, créant ainsi une irrésistible appétence. C’est reparti pour un tour ?
C’est beau le cinéma quand un film est maîtrisé à ce point. On pense à Un jour sans fin. En plus dramatique. On se laisse prendre au jeu. Un jeu terriblement addictif et intellectuellement stimulant.
Tout semble irrémédiablement terminé entre eux dans cette dernière scène. Tony le dévore pourtant du regard, le désire comme jamais. Georgio, fidèle à lui-même, cabotine devant la jeune enseignante, tout en feignant d’ignorer son ex-femme (la libère-t-il de son emprise ?). Et de quitter la salle sans répondre à son au revoir. Signe d’une séparation qu’il souhaite définitive peut-être ? Signe d’une séparation qu’il n’acceptera sûrement jamais…