Ce aurait pu être une screwball comedy, opposition homme et femme, divergence de points de vue, ambitions contrariées, secrets inavouables, des comédiens capables d’en avoir l’esprit et le rythme mais, la toile de fond, le traitement psychiatrique de patients atteints de troubles mentaux, imposait d’en faire un drame. Aussi à l’aise dans ces différents genres, La Cava joue habilement des rapports de force qui entrent en conflit dans chaque scène du film, chacun prenant tour à tour le dessus en fonction de ses convictions : Claudette Colbert incarne une femme consciente d’évoluer dans un monde d’homme, prouve sa valeur par ses qualités professionnelles. Joel McCrea incarne un homme blessé dans son amour-propre, certain d’avoir été floué alors qu’il méritait une promotion, voit la mise à l’écart de sa collègue comme une autre injustice à combattre. Charles Boyer se complait dans le costume de l’homme obtus, engoncé dans sa conception misogyne du monde, qu’il présente comme l’attitude d’un homme qui protège les femmes des dangers : de la section des hommes, trop dangereuse pour le docteur Jane Everett, d’une mauvaise réputation pour sa sœur ; les trois sont magistraux. La scène de la réception donnée à l’arrivée du nouveau docteur est admirable dans sa mise en scène, alternant habilement le placement des différents protagonistes du premier plan au second plan en fonction de leur domination ; c’est McCrea qui finit au 1er plan dansant avec la sœur du docteur Charles Monet, tandis que ce dernier rumine son semi-échec au second plan, le tout sous le regard inquiet de Jane Everett. La violence, dans la scène suivante, semble être l’expression de ce que chacun retient au plus profond de son être, alternance de plan d’ombres se débattant sur les murs, des visages désemparés et impuissants face à ce qu’ils ne comprennent pas et ne contrôlent pas, comme s’ils étaient confrontés à leur propre folie, leur propre colère si bien contenues dans la scène précédente. Ce qui distingue les docteurs et leurs patients ne serait peut-être que la conscience de l’apparence, des conventions, des règles, désinhibée dans les moments de folie qu’ils ne s’autorisent pas. Chacun d’eux a quelque chose à cacher, ces mondes privés qui, une fois libérés font une terrible déflagration. « Elle n’est pas aussi forte que nous (dit Jane au docteur McGregor). Sally (l’épouse du docteur) vit dans un monde d’émotion et a peur de le perdre », Jane comprend que McGregor trompe sa femme avec la sœur du docteur Monet pour l’atteindre quitte à détruire son mariage. « Pourquoi la haine et l’amour sont-ils si proches ? (se demande Jane alors qu’elle étudie un cas proche de ce qu’elle vit elle-même, un amour inavouable pour celui qu’elle devrait haïr, le docteur Monet) – On hait ceux qu’on aime car ce sont les seuls qui peuvent nous blesser (lui répond un confrère, homme sage qui a deviné les sentiments de Jane avant Jane elle-même) ». Sally, l’épouse délaissée, invite, chez elle, une des patientes de la clinique : « Nous avons tous vécu une tragédie dans notre vie, si nous la laissons devenir une tragédie » (lui confiait le Dr Monet avant d’accepter qu’elle invite cette malade, Carrie Flint, chez elle). Dans la courte scène qui suit, son époux, invite sa maîtresse au restaurant, scène durant laquelle il se montre odieux, devenant le type d’homme qu’il haïssait auparavant. Le plan suivant nous ramène chez Sally, seule, triste, abandonnée alors que s’abat une terrible tempête, que l’expérience avec Carrie Flint ait échoué, elle entend des voix, a laissé la tragédie entrer chez elle ; « I’m Carrie Flint ». Le film se termine quand chacun a renoncé à ses fantômes et a enfin révélé ses véritables sentiments. Remarquable, monsieur La Cava !

FloCha
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le 24 juil. 2021

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