Fidèle à son propre travail, le grand documentariste américain Frederick Wiseman livre avec Monrovia, Indiana un film sans aucune once de gras, dépouillé jusqu’à l’os, jusqu’au fondement même de la vie qui s’écoule dans cette paisible smalltwon américaine, 1000 âmes à tout casser. Sur près de 140 minutes, il arpentera ce bourg de long en large, à coups de plans fixes superbement agencés, des photographies qui rendent compte du fonctionnement de cette communauté.


Frederick Wiseman a un passé long de près de 90 ans clairement ancré dans une vision progressiste de la société. Parmi ses récents travaux, In Jackson Heights mettait en exergue le travail de sape de la gentrification, et en général du libéralisme, envers cette société très cosmopolite des Etats-Unis, sans doute la plus cosmopolite, et qui se trouve dans le Queens à New-York. Ex Libris : The New-York Public Library, montrait tous les rouages de cette véritable institution, les financements, les différentes implantations dans la ville, et démontre que la bibliothèque est un véritable lieu de pouvoir politique quant à l’épanouissement (ou pas ) de la démocratie dans la société.


Dans Monrovia, Indiana, le cinéaste s’intéresse à l’autre versant de la société américaine, celle qui ne déplore pas le retour des républicains au pouvoir. Aux dernières élections, Le Morgan County, auquel appartient cette petite bourgade, a voté à plus de 75% pour Donald Trump. Contrairement à Michael Moore, tout en commentaires personnels et malgré tout un peu de manipulation, Frederick Wiseman est d’une objectivité rigoureuse dans sa manière d’aborder le sujet. Comme toujours, il compile des situations, présentées presque in extenso : les réunions du conseil municipal sur des bouches d’incendie, du Lion’s Club sur le don d’un banc, la remise d’une médaille lors d’une cérémonie maçonne, un sermon lors d’un mariage ou un autre lors de funérailles. Le procédé immersif est total, et permet de comprendre ce qui guide et surtout ce qui soude les habitants : l’Eglise en premier lieu, le travail de la terre comme moteur, un patriotisme à l’échelle de la ville comme par exemple lors de la célébration du basketteur Branch McCracken, l’enfant du pays devenu une gloire nationale. A l’image des 46 millions d’Américains qui vivent dans des bourgades rurales similaires, les habitants de Monrovia ont une vie paisible et sans aspérité, plutôt autocentrée et loin de toutes les agitations idéologiques des grandes villes. Ce faisant, et contrairement au dispensable documentaire de Claus Drexel, America, Frederick Wiseman n’apporte aucun commentaire politique dans son film, alors que finalement, tout ce qu’il en ressort n’est que politique : les infrastructures existantes, l’absence totale du moindre indice quant à un éventuel accès à la culture, sans même parler d’un quelconque intérêt, les discussions extrêmement banales chez l’armurier qui ne sont que récolte de mûres à partager ou calcul rénal à opérer,…Et bien sûr l’omniprésence de Jésus, qui relègue tout le reste à un insignifiant deuxième rang.


Monrovia, Indiana , un métrage assez court au regard de la filmographie du réalisateur, intéresse pour son fond, mais aussi pour sa forme : aucun mouvement de caméra ne figure dans le film. Comme l’auteur, la caméra observe, y compris quand il n’y a rien à observer. Ses plans fixes sont parfois très brefs, une ou deux photos, mais jamais gratuits. Le montage, évidemment du réalisateur lui-même, est magnifiquement pensé, les lignes et les courbes de cet environnement rural de grandes plaines se répondant les unes aux autres, les couleurs se faisant écho de la même manière. Le mouvement n’est apporté que par les participants au documentaire, les humains, les animaux , voire le ballet des machines agricoles et des rares voitures qui se croisent dans la rue principale de Monrovia.


Encore trop méconnu en France, Frederick Wiseman est pourtant un acteur essentiel de notre monde : un penseur infatigable, un réalisateur chevronné qui, année après année, et film après film propose des pistes qui aident le spectateur à mieux comprendre le monde qui l’entoure, et partant à mieux se comprendre lui-même. Il n’en est pas autrement avec ce Monrovia, Indiana.

Bea_Dls
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le 16 juin 2019

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Bea Dls

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