Morgiana
6.8
Morgiana

Film de Juraj Herz (1972)

Héritage, empoisonnement et mystérieux minet

Nous devons à Juraj Herz le tout à fait merveilleux film L'incinérateur de Cadavres, sombre histoire de gérant d'incinérateur sombrant dans la folie lorsqu'il de l'arrivée du régime nazi dans son pays pour faire fructifier son commerce, et, avant tout, véritable choc esthétique. Réalisé quelques années après, Morgiana nous conte une histoire en apparence tout à fait différente : une femme (Viktoria) décidant d'empoisonner sa soeur (Klára) pour bénéficier de l'entièreté de son héritage, mais s'en rapproche dans sa recherche esthétique poussée mise au service du récit d'une vie banale prenant un tournant tragique. On se laisse assez rapidement entrainer dans cette histoire au thème éculé mais que vient magnifier une créativité formelle indéniable. Herz s'empare de l'imagerie gothique avec des éléments comme le manoir vide et inquiétant ou le chat omniprésent et la rapproche de la peinture symboliste en jouant sur les angles de caméra, les costumes ou les décors créant une beauté de tout les instants évoquant tour à tour Mucha, Klimt ou Millais.

Description d'un crime d'avidité et de ses conséquences, Morgiana nous invite à découvrir la transformation de Viktoria qui non satisfaite de l'infime part de l'héritage familial qui lui incombe et ne rencontrant pas le même succès que sa soeur auprès des hommes, se transforme, par jalousie, en un véritable être maléfique. Si le scénario n'a rien de novateur et souffre parfois de longs moments de flottement, c'est une nouvelle fois la mise en scène de tout ce joyeux drame qui va s'avérer transcendante.

L'ensemble du film baigne dans une aura psychédélique (accentuée par sa bande originale) tout à fait charmante, le surjeu constant des actrices lui donne un coté théâtral et contribue à son aspect irréel, mais ce sont surtout les choix de mise en scène et de montage qui lui confèrent une ambiance unique : (ab)usant de zooms, de longues focales, d'angles improbables et de gimmicks musicaux entêtants, Herz crée une ambiance qui peut être légitimement lassante mais qui, pour qui rentre dans son film, crée une unicité tout à fait exceptionnelle. Une démarche qui s'accentue encore lorsque le récit s'attarde sur la descente dans la folie de Klára sous l'effet du poison, se permettant d'être encore plus expérimentale au fur et à mesure qu'elle sombre dans son bad trip avec notamment des scènes de miroir et des courses hallucinées tout à fait iconiques et inoubliables.

Si la conclusion est un peu trop miraculeuse et morale pour être un véritable point d'orgue au film et peut être qualifiée de décevante, elle a toutefois la qualité indéniable de nous en faire ressortir avec un mystère : que représente Morgiana ? Chat éponyme du film ayant aussi le rôle d'image finale énigmatique : son absence tout au long de la deuxième partie peut laisser croire qu'il a bu dans le poison destiné au chien et est mort, son retour serait alors représentatif de la défaite de Viktoria, le poison ne s'avérant finalement pas létal, mais dans un film aussi fort en symboles, j'imagine qu'il nous cache d'autres secrets.

Voyage onirique et macabre, véritable profession de foi esthétique, Morgiana nous raconte une sombre histoire, certes peu originale, mais le fait de manière si étrange qu'il nous transporte dans un monde doublement parallèle : un monde parallèle dans lequel vivraient les personnages du film mais aussi un monde parallèle dans lequel le film aurait été tourné tant il ne correspond en rien aux standards de la production cinématographique. S'il en fallait, Morgiana est la preuve que filmer un monde flou, aux règles proches du notre, est bien plus efficace pour créer une oeuvre étrange, parvenant à nous transporter, que filmer un monde étrange de manière banale.

arthurdegz
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Films étranges et Top Films

Créée

le 9 mars 2023

Critique lue 117 fois

1 j'aime

1 commentaire

arthurdegz

Écrit par

Critique lue 117 fois

1
1

D'autres avis sur Morgiana

Morgiana
arthurdegz
8

Héritage, empoisonnement et mystérieux minet

Nous devons à Juraj Herz le tout à fait merveilleux film L'incinérateur de Cadavres, sombre histoire de gérant d'incinérateur sombrant dans la folie lorsqu'il de l'arrivée du régime nazi dans son...

le 9 mars 2023

1 j'aime

1

Du même critique

L'Arnaqueur de Tinder
arthurdegz
2

L'arnaqueur c'est Netflix

Février 2022, c'est le documentaire choc du moment sur Netflix, l'Arnaqueur de Tinder ou comment un goujat peu scrupuleux s'est payé sa meilleure vie d'influenceur grâce à l'argent de femmes que l'on...

le 23 févr. 2022

17 j'aime

L'Acteur
arthurdegz
8

L'incompris

La première scène est à l'image de son début de carrière, il suffit qu'il arrive, quand bien même ce soit pour se faire un café, pour que ce soit drôle, pour qu'il dévore l'écran et accapare toute...

le 5 janv. 2024

11 j'aime

3

Strawberry Mansion
arthurdegz
9

Dystopie onirique

En voyant un jeune inspecteur des impôts se rendre chez une vielle dame new-age pour auditer ses rêves sur K7 vidéo, on comprend assez facilement que le film ne se déroule pas dans notre monde, mais...

le 15 sept. 2022

4 j'aime