Le film s'achève ainsi - et c'est à peine un spoil :
dans un train, un enfant blond parle à une valise rouge (où manifestement un second personnage est dissimulé, un peu comme le Dracula de Bram Stoker ou de Coppola dans les soutes d'un navire), et l'on revient, en boucle, au début du film, avec l'arrivée, en taxi cette fois, d'un homme et d'une petite fille. L'histoire éternelle peut recommencer.

Alfredsson retourne à la source du film de vampires - non seulement parce que les héros sont très jeunes (mais de la jeunesse éternelle, si blanche et en communauté constante avec la mort), mais parce qu'il y réintroduit progressivement tous les rituels de référence et va même jusqu'à en inventer de nouveaux : l'arrivée du vampire, le rituel d'entrée dans sa maison, son antre, la relation, pour le moins difficile, avec les chats, sa façon d'attaquer ses victimes (qui peut évoquer "l'Homme-léopard" de J. Tourneur), sa relation difficile avec la lumière, qui va ici jusqu'à l'explosion très spectaculaire, l'odeur du vampire en manque de nourriture, son insensibilité au froid ...Ces vampires-là ne sont pas humains, ils ne saignent jamais leurs victimes par plaisir , mais seulement pour se nourrir - un peu à la manière des moustiques femelles. Ils ne sont pas humains peut-être aussi parce qu'ils sont innocents, trop humains.

Dans l'attachement, peu à peu définitif, entre les deux enfants, on pourrait croire, de prime abord, que le monstre n'est pas celui qu'on croit - C'est Oskar, armé de son couteau, éructant des phrases aussi violentes qu'étranges, dédoublé dans le reflet de la glace et nimbé d'une étrange lumière, qui semble le plus fantastique et le plus vampirique. En réalité il est victime pure, toujours sous la menace de ses bourreaux, dans le plus total isolement, au milieu des autres enfants dans (un très bel exemple d'un des multiples effets de variation de mise au point dans le film), dans la plus grande solitude, même auprès de ses parents (mère repliée sur elle-même, père alcoolique). Avant l'arrivée d'Eli, il est condamné à la solitude.

Alors les deux enfants, condamnés, partageront leur co-damnation. Le film ne fait pas seulement allusion à la mythologie et à l'histoire des vampires.Il renvoie aussi à Roméo et Juliette, dans le message transmis par Eli à Oskar : "Il faut vivre et partir - ou mourir et rester"... pour une histoire d'amour inédite.

La réalisation d'Alfredsson, très (parfois trop) contemplative, parvient presque à placer ce récit hors du temps : par l'effet constamment repris de la variation des points de vue dans le même plan (qu'il reprendra de façon aussi brillante dans la Taupe), idéal pour isoler les vampires du monde des humains; par un usage assez remarquable de la couleur, dans ces paysages de neige, presque du noir et blanc en couleur, progressivement criblé d'éclats de rouge - un bourgeon, une figurine, un vêtement, une griffure ... Demeurent longtemps quelques images étonnantes, d'une grande beauté (et chacun bien sûr conservera les siennes) : un train au dessus-d'un pont dans la nuit, dans la nuit et dans la neige les phares grossissants d'une voiture, la vision surréaliste avec en toile de fond la succession géométrique des verticales des bouleaux, du supplicié saigné et pendu et d'un caniche pour le moins étonnamment "coiffé".

Les deux enfants ont fini par se trouver. Il ne leur reste plus qu'à fuir pour vivre ailleurs leur amour insolite. Mais Oskar ne sera jamais que l'assistant - il prend la suite de Haken, toujours au service de sa petite maîtresse et mort pour elle. Oskar, lui, est condamné au vieillissement.
pphf

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