Frank Capra réussit avec brio cette improbable synthèse du film à la fois politique et engagé d’un côté, et populiste et populaire de l’autre, rappelant le précédent Mr. Deeds Goes to Town et le postérieur Meet John Doe – films dont le titre contiennent tous un nom de famille fréquent personnifiant la figure d’un héros issu du peuple. En s’appuyant toujours sur le positivisme d’un individu contrastant avec le pessimisme causé par le collectif, un espoir inébranlable s’opposant aux forces du mal et des idéaux purs et incorrompus résistant au milieu des pratiques condamnables, Capra a le courage, le mérite et la primeur de dénoncer avant les autres les travers de la politique capitaliste naissante. Qu’il le fasse avec un film didactique parfois rebutant (toute cette déambulation dans l’Histoire politique du pays est d’un ennui évitable) et l’invraisemblance de la fable (avec toujours ce miracle qui opère là où personne ne l’attendrait), c’est un autre sujet.
Concentrons-nous plutôt sur la mise en scène de Capra, classique et théâtrale, et notamment sur le rôle primordial accordé à la parole. Au Sénat, face à une assemblée intimidante, filmée en plan large pour bien renforcer le contraste entre la grandeur impressionnante du lieu et la petitesse de l’homme, où la voix tremble de la peur et la feuille en érection s’amollit, puis où elle ose finalement, encouragée par la liesse des enfants scouts, les conseils soufflés par sa secrétaire Clarissa (sorte de coach mental et/ou en communication actuel) et le but moralement honorable qu’elle s’assigne, jusqu’au point culminant de cet incroyable discours fleuve de 23 heures, la parole incarne un objet de pouvoir à maîtriser (il faut connaître les règles du jeu, savoir se faire entendre, attirer l’attention, convaincre afin de ne pas être ridiculisé, ignoré voire banni par ses congénères) ainsi qu’un espace de pouvoir où, une fois conquise, il faut savoir la garder et la protéger. Cette parole officielle, formelle et codée s’oppose à celle qui se transmet dans les coulisses du pouvoir, devenant là clandestine, non publique, contenant l’illégalité des opérations politiques. Elle y révèle alors les rapports de force et les enjeux cachés, la vraie face du pouvoir, les dessous des décisions prises, les manipulations secrètes, les trusts gouvernant. Enfin la parole est paradoxalement le moteur de l’action du film. En effet, non seulement elle structure la mise en scène, mais en plus elle a la fonction de dynamiser le récit, à travers les mouvements constants qu’elle suscite, que ce soit à travers le combiné téléphonique, arme des puissants, comme dans la scène d’ouverture où est annoncée la mort du sénateur, nouvelle passant à un rythme effréné d’un interlocuteur à un autre, ou à travers le flot ininterrompu de discussions, argumentaires, débats, interrogatoires ou discours.
S’il est vrai que le point de vue de Capra nous semble aujourd’hui trop naïf pour qu’on puisse l’embrasser, que son optimisme nous apparaît trop incohérent pour qu’on le cautionne, il parvient à courageusement montrer les maux qui rongent le pouvoir tout en entretenant l’espoir chez un peuple désabusé. Voyons nous aussi les choses du bon côté.