Une route à la belle gueule. Comme un air de déja-vu. Un personnage qui l'habite, parfois debout, parfois allongé. Un horizon qui se déploie, sans en voir la fin, mais qui se réduit aussi à la taille d'une balle de golf.

Un territoire comme point de départ, une maison venu du ciel qui s'écrase, et le début d'une quête qui prend déjà l'apparence d'une tragique illusion. Où les espaces deviennent les portes de l'absence, où l'on vient, l'on repart, sans avoir de réponses. Et puis "have a nice day" !

Van Sant dépeint les fragments d'une vie où le film prend la forme d'une perception perturbée et altérée. Le raccord regard au début, où Mike observe la route, donne le ton. La volonté de se fondre dans la tête de notre personnage éclate aussi par une nouvelle manière d'approcher le Temps et l'espace, avec un montage expérimental auquel s'adonne le réalisateur, donnant la sensation d'une déroute constante, où les visions sous forme d'ellipses s'imbriquent dans une structure déjà non-linéaire. Où les nuages vont trop vite et s'effacent à la manière du temps qui efface les souvenirs. Où la mère recherchée ne devient qu'une chimère.

Le film se veut comme un flottement, où les évènements défilent sans qu'on puisse avoir d'emprise, entre ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. C'est un ensemble d'espaces, aussi bien physiques que mentales, dans lequel il y a une projection, un emboîtement, une mise à nu de ce qu'est la folie de vivre.

River Phoenix est finalement le corps, le visage, où est déposé toute la beauté et le mystère de ce film, tantôt imperceptible, métaphysique, tantôt proche et retenu. Son visage est au fond un paysage, où on essaye de se repérer, aussi mutique que le désert, profondément attachant tant il ne dit pas tout. C'est pourquoi le film déploie une force qui dépasse le cadre et s'immerge dans la vie du spectateur, car le personnage trace une conjoncture entre l'universalité de la quête d'identité et d'amour mais aussi, en dehors du film, de la vie tragique de son interprète.

Ce rapport au film, presque métaphysique, illumine alors la véritable sincérité de Van Sant quant à cette revisite de la Beat Generation, où les "sans pères" sont devenus les "sans mères", mais où la souffrance est toujours au même endroit : à la marge.

On est à la marge du réel, sur le trottoir d'une vie qu'on écrase.

Le film rappelle cette scène dans Les Amants du Pont-Neuf où Lavant se frotte le visage sur le bitume, où l'expression indicible d'un rapport altéré au monde et d'une souffrance prend forme par le corps.

Elle prend son sens dans les mouvements irrationnels du corps, qui essaient de s'extirper de la lourdeur des os, comme Phoenix le fait parfois en ayant ses excès.

Et il est là le génie justement. En acceptant l'absurdité de cette vie, notre protagoniste utilise son corps de manière impatiente, irrationnelle, poétique, et profondément juste. Les mouvements s'élancent en une danse mélancolique non voulue dans des moments de cinéma qui défilent à la vitesse des nuages et à l'imagerie presque lynchéenne du surréel, à la lisière entre conscience et onirisme.

Le personnage finit alors cloué au sol, fatigué de cette existence et des mouvements qu'elle implique, mais l'espoir renaît toujours malgré la tragédie, une voiture s'arrête, et cela suffit à dire qu'un Phoenix renaît toujours de ses cendres.

Un regard vers le ciel. C'est cela qu'on doit retenir de ce film et du cinéma de Van Sant. La tragédie se ré-invente par la vie. Où il est plus cruel de vivre en ayant conscience que la route ne finit jamais, plutôt que de mourir en touchant du doigt le divin. Tel Bob en mourant : "God !"

VivienPrn
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le 26 mars 2023

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Vivien Prn

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