Au collège ou au lycée, quasiment aucun prof d’Histoire-Géo français ne parle de la Guerre du Vietnam, sauf de la guerre d’Indochine. Je ne vais pas parler de la genèse du conflit, ni du conflit en lui-même, mais du fait qu’elle m’avait interrogé pendant mon adolescence, je sais qu’elle choqua l’opinion, en particulier la jeunesse avec l’avènement d’une contre-culture, d’une prise de conscience anti-guerre, les hippies, de manifestations violemment réprimées (exemple : l’Université de Ken State, dans l’Ohio, évoqué dans Né un 4 juillet, qui inspirera une chanson à Neil Young), etc. Les enfants avaient besoin d’émancipation. Le Vietnam, pour les vétérans, ça peut rappeler les odeurs de jungle, de moiteur étouffante, des moustiques suceurs de sang, la soif et l’odeur du napalm au petit matin. « On crève de chaud dans ce putain de bled ! Pire qu’en enfer ! » renchérira un soldat dans le film.

Et le cinéma dans tout ça ? Le Vietnam a inspiré les studios hollywoodiens. Le premier à voir le jour côté américain fut Les bérets verts de Ray Kellog et John Wayne en 1968. Puis, certains ont marqué les consciences comme Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino (qui a marqué la période du Nouvel Hollywood entre 1967 et la fin des années 70), Apocalypse Now, Platoon, Né un 4 juillet, Full Metal Jacket, Good Morning Vietnam, Forrest Gump et peut-être moins Nous étions soldats avec Mel Gibson, d’après le livre du colonel Moore, personnage dont le nom est évoqué dans Né un 4 juillet. Quel point commun entre Platoon et Né un 4 juillet ? Ils ont tous deux été réalisés et scénarisés par Oliver Stone (le même qui a écrit Midnight Express et Scarface, et est devenu célèbre en dirigeant Michael Douglas et Charlie Sheen dans Wall Street) et ont pour point commun la Guerre du Vietnam. Si le premier est une fiction inspiré de l’expérience du réalisateur, le second est adapté d’une histoire vraie, celle de Ron Kovic. Né en 1946 comme lui, Oliver Stone offre le rôle principal à un acteur alors au sommet de sa gloire : Tom Cruise. Et après leur rencontre, Ron Kovic ne pouvait qu’approuver.

Il s’agit d’une critique acerbe du la guerre en elle-même, du patriotisme dans une Amérique désenchantée en plein bouleversement, après un conflit moderne extrêmement meurtrier qui a anéanti les consciences et bouleversé toutes les certitudes, et parle frontalement du militantisme et dans une moindre mesure, du stress post-traumatique, comment un bon petit boy scout est devenu amer et révolté contre son pays, contre les bombardements et le gouvernement qui n’entend pas la plainte des gens descendus dans la rue pour manifester leur mépris par des actions pacifistes. Jamais un personnage n’avait autant hurlé son désespoir comme Tom Cruise, qui offre une intense prestation dramatique, qui a marqué l’adolescent de 14 ans que j’étais et qui avait acheté le DVD sans savoir qu’il allait changer sa vie.

Oliver Stone a choisi de partager avec le spectateur la souffrance physique et morale de Ron Kovic après le conflit, lui qui a eu du mal à se réadapter à la vie civile, mais qui n’est pas non plus un tueur de masse comme Chris Kyle dans American Sniper, mais les deux personnages traversent de terribles épreuves de stress post-traumatique, et contrairement à Chris Kyle, Ron Kovic est revenu blessé, paraplégique, amer, condamné à vivre dans un fauteuil, mais condamné à vivre quand même, comme puni par le Destin après avoir tué accidentellement un soldat (ça, c’est l’originalité de cette histoire). C’est un chemin de croix où il reprendra goût à la vie en s'engageant dans le pacifisme. Il faut beaucoup de temps pour soigner un stress post-traumatique et un film où le sujet est également le problème du retour à la vie civile des soldats du front, ça, ça me plaît ! Petite digression : en France, dans la littérature contemporaine, Philippe Djian a traité de ce problème dans son roman Marlène avec deux amis militaires qui reviennent de la guerre : d’un côté un personnage qui essaye de s’intégrer dans la société, et l’autre, plus tête brûlée, qui fait n’importe quoi. C’est un livre que je recommande chaleureusement (comme Né un 4 juillet, d'ailleurs !)

Le film en lui-même est très dur, cru, mais beau, puissant. La prestation de Tom Cruise, soldée par un Golden Globe et par une nomination à l’Oscar, est à saluer tellement son investissement est vraiment plus que rentable, lui qu’on n’a pas l’habitude de voir dans des rôles comme celui-ci avec une transformation aussi radicale. D’ailleurs, le film contient, avec Voyage au bout de l’enfer, une transition toute simple entre la fin de l’innocence et le début de l’entrée dans le conflit, avec une des plus belles scènes de bal et de romance de l’histoire du cinéma entre Tom Cruise et Kyra Sedgwick. Le calme avant la tempête. Ici, le héros est confronté à un choix entre rester chez soi et se préparer mentalement avant le départ ou alors voir sa copine, Dona à un bal de promo. De plus, Willem Dafoe, dans le rôle de Charlie, offre une prestation hallucinante et hallucinée de ce compagnon de Kovic lors de ce voyage au Mexique. D’ailleurs, la scène de transition avec les paysage du Mexique, la mer, la musique, offrent une petite éclaircie… Mais pas pour longtemps. Ce voyage est une parenthèse : c’est dépaysant, mais aussi un lâcher prise, un laisser-aller dans l’histoire du héros qui a besoin de prendre ses distances avec sa famille. Là-bas, le mot espagnol Mañana (demain) peut être un petit mot pour signifier paradis comme le disait Kerouac dans Sur la route. Pas du tout ! Le Mexique, terre d’accueil des expatriés avec un handicap comme Ron Kovic, suinte la folie, la crasse, l’alcool, la misère, la poussière, le soleil et le sexe où il est facile de combler ses frustrations pour quelques dollars.

Plus de trente ans après sa sortie, le film a bien vieilli. Doté d’une partition inoubliable signée John Williams, Né un 4 juillet est néanmoins un film qui rajoute beaucoup d’émotions bouleversantes (les scènes entre Tom Cruise et Kyra Sedgwick et les dernières minutes du film, le plan sur le visage de Tom Cruise lorsqu’il se rend compte de l’absurdité de cette guerre lors de sa première manifestation, quand Tom Cruise achète un petit cadeau pour une prostituée au Mexique, la visite au cimetière, puis chez la famille du soldat Wilson), parfois insoutenables (le long chapitre sur le séjour à l’hôpital, Ron Kovic qui ose se révolter contre sa famille, comme si le fils idéal tuait la mère). A la hauteur de son talent, Tom Cruise s’est bien approprié le personnage de Kovic et est exceptionnel dans ce rôle merveilleux, parfait de justesse, où la star n’a pas hésité à casser son image pour se glisser dans la peau de Ron Kovic. Ironie du sort, ce sera Daniel Day-Lewis, interprète d’un homme doté d’un handicap dans My left foot qui remportera l’Oscar en 1990. Quant à Oliver Stone, dont c’est le deuxième volet de sa trilogie sur la Guerre du Vietnam close avec Entre ciel et terre, il remportera son deuxième Oscar du Meilleur réalisateur ainsi que le Meilleur Montage. Oliver Stone et Ron Kovic, également auteurs du scénario, ont obtenu un Golden Globe pour leur excellent travail. Je crois que le film a dépassé le million d’entrées en France à sa sortie (je ne sais pas s'il a eu du succès aux États-Unis) et à chaque fois que je regarde ce film avec plaisir, je ressens l'émotion d'être adolescent en me glissant dans la peau de Ron Kovic.

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le 6 févr. 2023

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Lowell

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