Avec Noces, Stephan Streker s’inscrit dans la lignée des films qui dénoncent les conditions des femmes à travers le monde.


Dans la lignée des films sur la condition féminine en Europe et ailleurs, Noces raconte le destin tragique de Zahira qui tente de s’opposer au mariage forcé que prévoient pour elle ses parents d’origine pakistanaise et désormais installés en Belgique. On ne peut s’empêcher en regardant Noces et la manière dont il donne la parole à chaque personnage, dont il évite de juger les agissements et auxquels il offre un espace argumentaire, de penser à Tempête de sable. Les deux films abordent des sujets similaires et sortent à quelques jours d’intervalle. Dans ces deux films, comme dans Hedi sorti il y a quelques mois, les personnages sont confrontés au désir de faire évoluer leur vie autrement que ce qui est prévu par les autres. Trois mariages (Hedi étant un homme) sont donc sur le point d’être annulés. Mais voilà, ces films-là n’ont plus vraiment l’espoir que pouvait avoir Wadja, La source des femmes ou Et maintenant on va où ? Si bien que les héros de nos films sont seuls à se battre. Certes, Zahira est épaulée par sa meilleure amie et le père de celle-ci, mais ils ne voient pas tous les enjeux et tous les obstacles que Zahira doit franchir. Après tout, et elle le dit très bien elle même, elle se bat contre la mort. La honte ne pouvant être effacée que par elle. La mort elle y renonce d’ailleurs au début du film lorsqu’elle demande au médecin qui l’ausculte à partir de quand le fœtus qu’elle porte en elle aura une âme. On voit bien qu’elle ne rejette pas la religion, que ce n’est pas nécessairement elle le problème. Il est plus profond. Pourtant, Zahira a fait des études, comme sa grande sœur aujourd’hui mariée avec « la personne la plus important dans (s)a vie ». Et pourtant, elle non plus ne l’avait pas choisi. Mais on est toujours étonné de voir les mères et les sœurs refuser l’indignation des plus jeunes quand elles-mêmes sont passées par là. Le film montre assez bien que c’est la résignation qui domine. Ainsi, Zahira n’a pas la fougue d’une Lale (Mustang), elle se contente d’essayer de convaincre et d’aimer profondément sa famille.


« Il faut savoir vivre avec son temps »


C’est sur skype que Zahira aura le droit de choisir son futur mari. Et oui, Zahira peut choisir et en plus elle utilise la technologie, ce qui permet à sa mère de lui lancer : « il faut vivre avec son temps ». Voilà donc que la famille profite des avantages d’un occident que pourtant ils ont du mal à comprendre, on le verra dans le discours du père qui fustige celui de la meilleure amie de Zahira. Ses coutumes l’importent et il dit d’ailleurs ne pas remettre en cause celles du pays dans lequel il vit (il prend l’exemple du célibat). La question intervient alors brutalement : nos enfants nous appartiennent-ils ? Le choix de Zahira de ne pas se marier l’éloigne en effet de ce cocon familial dans lequel elle a eu le droit d’étudier et de vivre comme une européenne. La voilà maintenant forcée de quitter tout ce qu’on lui a offert. On se demande alors pourquoi lui faire miroiter une vie qu’elle n’aura pas finalement. Le réalisateur joue avec le poids et la beauté des traditions, filmant, et donc tournant presque en ridicule, un mariage par skype. Vue l’importance que prennent la meilleure amie et son père, ainsi que le petit ami de Zahira, on comprend que le regard est avant tout le nôtre. Voilà pourquoi une question demeure : à qui s’adresse ce film ? Prêche-t-il des convaincus ? Que dit-il de ces coutumes ? Certes, il offre une place de choix au discours de chacun, nous place face à des questions. Mais, comme beaucoup d’autres films déjà cités, sa vision est très occidentale. Nous regardons Zahira avec nos yeux, nous écoutons les points de vue de chacun mais ils nous heurtent. Surtout quand la sœur de Zahira lui explique qu’il ne faut changer que ce qui vaut la peine d’être changé. Aucune des deux femmes que ce soit la mère ou la sœur n’a en effet l’air malheureuse. A ce titre, Noces n’est ni un bon, ni un mauvais film. On pourrait dire que c’est un film nécessaire, mais tout dépend de quel point de vue il doit être regardé et de sa portée réelle au-delà de nos tristes frontières. Ce petit bout de révolution avortée est en tout cas presque un thriller tant la tension monte de minute en minute, c’est aussi une petite aventure. Rien n’est enjolivé ici, les adjuvants sont aussi les opposants. Le conte de fée est bien loin, même celui où ils ne se marièrent pas et n’eurent pas d’enfants. Et dire qu’en France, nous avons réinventé le concept du mariage au premier regard (merci M6 la rétrograde). Le désir de faire bouger les lignes, d’essayer de s’exprimer est vital pour Zahira, mais il ne la rend pas « plus forte que la mort »(pas plus que Fleur de Tonnerre ne l’était dans le film de Stephanie Pillonca).

eloch
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le 15 févr. 2017

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