Un film raté est toujours regrettable, sans balourdise il s'empêcherait de faire leçon dans l'ennui

Si je n'ai pas résisté à faire allusion à la célèbre formule du sous-ministre (et homme) Robert Pandraud sur la mort d'Oussekine dans mon titre ("La mort d'un jeune homme est toujours regrettable, mais si j'avais un fils sous dialyse je l'empêcherais de faire le con dans la nuit") je tiens tout d'abord à préciser que, quand même, ce n'est pas si terriblement mauvais que ça. Disons qu'avec de très indulgentes dispositions d'esprit, un public en recherche d'édification morale pourrait l'apprécier (en particulier un n'ayant pas son propre vécu relatif à 1986) .

Moi en revanche, c'est peut être que cette année rime avec premier engagement pour moi, avec les toutes premières fois où j'ai séché le collège pour aller manifester avec mes ainés lycéens et étudiants, puis avec l'émotion de l'immense manifestation (presque) silencieuse suite à la mort de Malik et Abdel.

Mais un peu comme on peut être déçu d'une mauvaise adaptation d'une œuvre à laquelle on est trop attachée, je n'ai pas du tout réussi à apprécier ce film, dont j'ai trouvé la plupart des choix en un mot ennuyeux, et malgré des acteurs apparaissant parfois en roue libre niveau surjeu (enfin quand le policier joué par Raphaël Personnaz se retrouvant, étrangement, rôle quasi principal, surjoue la morne morosité d'un pion faisant son travail à longueur de film, et la plupart des autres la tristesse ou d'attendues colères, forcement...).

Enfin surtout je crois que j'aurais rêvé de voir un complètement autre film, sur le mouvement social qui a défini une génération, comment il est passé en quelques semaines de "CRS avec nous vos enfants sont étudiants" à "Pasqua, Pandraud, Chirac, flics, assassins" etc. (ce qui est à peine abordé via quelques images d'archive) plutôt qu'à simplement une énième histoire de bavures et d'étouffement de celles ci filmée comme 30 films précédents sur ce sujet, que le contexte social ne fait qu'expliquer.

C'est un peu le pire dans ce film, non seulement il s'attarde longuement sur les détails de bavures finalement très génériques, mais en plus il pousse à comprendre ceux qui ont voulu les étouffer en les montrant se justifiant par celui ci ; comme si tout n'était pas également fait pour cacher ou minimiser les dérapages policiers en temps normal.

Après évidemment le parti pris de Rachid Bouchareb s'explique, ne pas vouloir imiter la police, la presse et l'opinion qui n'ont pas accordé à la mort d'Abdel Benyahia la même importance qu'à celle d'Oussekine. Le problème étant qu'il ne favorise pas de s'émouvoir de cette affaire en faisant de tous les personnages qui l'entourent d'absolus clichés ambulants (le père immigré de première génération au français approximatif oscillant entre respect et crainte pour son pays d'accueil et ex-colonisateur, le frère incarnation des révoltes d'une deuxième génération déjà de mœurs française mais pas traitée comme telle, une amie "de souche" pleine de bons sentiments pour mettre les points sur les i de tout ça, le policier alcoolique et probablement raciste qui n'assume pas son geste, le commissaire qui sans sembler lui même raciste fera tout étouffer l'affaire par carriérisme ou esprit de corps, etc.). Que cela corresponde ou pas à la réalité tout y sent tellement le déjà vu et totalement attendu que ça peine à intéresser.

Et le volet Oussekine n'est pas tellement mieux, qui oscille en boucle entre les réactions incrédules puis tristes ou furieuses de ses proches, et des flashbacks sur la dernière nuit de l'insouciant jeune homme en venant (très) progressivement aux faits, là encore comme déjà vu dans des dizaines de films policiers (et un choix de mise en scène d'autant plus absurde qu'il n'y a évidemment ici même pas de suspense pour le justifier).

A l'arrivée c'est le genre de films dont on sort en regrettant pour raisons politiques de n'avoir communié avec ces morts qu'en s'y ennuyant à mourir, mais le fait est que de bonnes intentions ne font pas un bon film (plutôt tout le contraire quand elles sont aussi lourdement appuyées).

Antonio-Palumbof
5

Créée

le 4 déc. 2023

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