A l'image du Vietnam, de la Palestine ou du Chili, le Rwanda fait partie de ces pays où l'on sait d'avance quel sera le sujet du film, ce qui implique à mon sens une réelle capacité à proposer une réflexion en termes de traitement pour dépasser la simple énumération factuels ou les conclusions morales gnangnan autour d'histoires indigestes. En l’occurrence, Notre Dame du Nil est capable de nous offrir une vraie proposition cinématographique, un film qui ne parle pas du génocide passé ou qui se déroule, mais bien du génocide à venir et c'est là où réside l'intelligence du réalisateur : raconter comment une histoire terrifiante se produit, comment le rêve devient un cauchemar sans passer par des logiques binaires de bien et de mal.

Le parti pris par Rahimi est ici intéressant parce qu'il nous épargne de replonger dans l'horreur que fut le génocide des Tutsis par les Hutus, pour se concentrer sur le contexte, sur comment tout un pays en arrive à un point de basculement où la seule issue est la haine. Le film nous raconte donc comment la petite histoire, les relations entre jeunes filles d'une pension d'élite privée catholique, permet d'expliquer et de comprendre la grande Histoire que fut le génocide. Il faut alors saluer la délicatesse de la réalisation et de la mise en scène qui, loin de faire s'opposer des personnages caricaturaux et lourds, va laisser lentement et surement le temps à son spectateur d'appréhender et de comprendre les positions de chacun. Nous suivons donc en parallèle d'un côté le monde des adolescentes où les querelles mesquines et les jalousies de cour de récrés entre filles, qui ne se définissent pas toutes à priori comme Hutu ou Tutsi (certaines n'en sont d'ailleurs pas capables), serviront de terreau à la haine raciale. Puis de l'autre côté le monde des adultes où les relations de pouvoir et de domination au sein de cette école, entre les blancs éducateurs, qui malgré la sincérité de leur engagement ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, et les élites noires rwandaises de la pension, vont s'inverser.

La force du propos réside alors dans la façon de nous faire comprendre comment la haine s'installe et comment celle-ci devient inarrêtable, et ici cette compréhension se fait via un magistral coup de poing dans la figure. Ainsi, le personnage de la très dévote et stricte directrice d'école (blanche), qui sentant le vent tourner cherche à rappeler à son subordonné (noir) les règles de bonne conduite catholiques, se retrouve toute penaude et perdue lorsqu'elle trouve comme unique réponse ce cinglant : "Mais, nous sommes indépendants ma Mère.". Et c'est ici tout le nœud du problème résumé en un échange, la situation telle qu'elle va se dérouler n'est plus son contrôle de "l'Homme blanc", la colonisation a créé un monstre fondé sur Ses propres classements (les colons avaient considérés que les Hutus étaient racialement supérieurs aux Tutsi), Il ne pourra désormais plus rien face aux massacres et se contentera de fermer les yeux. A ce titre, les fantasmes pervers de l'autre figure blanche du film (un exploitant agricole) permettent également de souligner la responsabilité des colons occidentaux dans cette affaire, à rebours de ses congénères lui ne vénère pas les Hutus mais les Tutsis, mais cela ne correspond qu'à l'autre face d'une même pièce, car ce sont bel et bien les distinctions opérées lors de la colonisation qui vont être les germes du chaos lors de l'indépendance.

Notre Dame du Nil est donc à mon sens une vraie réussite car à la fois Rahimi nous propose un film composé des très beaux plans du Rwanda, reposant sur une forme narrative aboutie, et ce malgré des dialogues pas toujours justes ; et livre également un véritable film politique teinté d'analyse socio-anthropologique qui nous rappelle combien le cinéma est à la fois un art visuel et un outil de réflexion pour son spectateur.

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le 20 déc. 2022

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