Nous quatre: road movie planifié où le prochain virage prend un tour inattendu

À lire avec extraits sur: https://branchesculture.com/2016/09/28/nous-quatre-stephane-henocque-critiques-cinema-belge/


8000 € de budget (+ 75 000€ de postproduction), une paille. Et pourtant. 15 jours de tournage, à l’arrache mais avec la passion. Oui, mais encore. Près de 5000 spectateurs (dont 3000 rien qu’à Rocourt sur deux soirées, espacée d’un an) avant même la sortie du film en salle (ce mercredi, donc, on vous l’a assez répété). C’est vrai, on n’est pas friands de compter les « 0 » et de faire l’état des finances en abordant le cinoche, on préfère parler en émotion. Ça tombe bien, dans « Nous quatre », il y a les deux.


Ceci n’est pas un film belge. On ne veut pas jouer les Magritte (même si on adorerait que le surréaliste vienne couronner Stéphane Henocque en février) mais il faut bien avouer que « Nous quatre » ne joue pas dans la même catégorie que les Dardenne ou qu’un Bouli (avec lequel le réalisateur semble partager cet amour incommensurable de la verdure et du naturalisme). Ces illustres cinéastes qui, sur des trames sociales, instaurent la distance stylistique et l’austérité lancinante, la froideur parfois abrupte, oubliant parfois le spectateur en route malgré la maestria évidente. Et s’il prend pied entre Liège, Namur et les Ardennes (La Trêve n’a pas le monopole de la redécouverte de nos beaux paysages), ces territoires chéris par les réalisateurs du terroir, Henocque prend le parti de les faire siens, de les faire nôtres.


C’est peut-être la première fois qu’on se retrouve dans nos villes et non dans ces villes qui ne sont finalement que des décors de cinéma. La Belgique appartient à ses quatre personnages. Mieux, dans ce road movie planifié où le prochain virage prend un tour inattendu, Stéphane Henocque nous embarque dans le coffre de la voiture aventureuse qui emmène les 4 as à l’inconnue. La ceinture et les distances de sécurité peuvent être oubliées, on peut se laisser aller: qu’il fait bon se promener dans Nous quatre. Bon, c’est vrai, on n’est pas à l’abri d’un pépin de santé, d’une colère draconienne, d’une panne sèche ou d’un câlin réconfortant. La vie est ainsi faite, non?


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Bon, c’est vrai, dès le début, les défauts sautent aux yeux. On se dit « aïe aïe aïe », comment ce premier film (en partie crowdfundé, qui plus est) pourra-t-il tenir la distance. Impossible n’est pas liégeois et c’est avec toute sa fougue et son forceps qu’Henocque prête vie et magie à son film. Les minutes s’égrènent, le fond de l’histoire est sombre mais le film fait face à la lumière, enveloppante. Dans, « Nous quatre », et c’est le paradoxe miraculeux, les limites techniques et budgétaires (un film pour moins d’un million? Mais vous êtes fou?) deviennent des forces sur écran, rivalisant d’ingéniosité. Les images se succèdent, la voiture avance, Liège, Namur (et son gros caillou), les Ardennes rurales et forestières, et les défauts font trois petits tours et puis s’en vont tandis que les acteurs sont de plus en plus à leur affaire, formidables de sincérité et de naturel, forts en accent (et on adore ça, loin des stéréotypes!), pas encore corrompus par les « trucs et astuces » des acteurs (trop) parfaits. Et dans ce film auquel on ne pensait pas accrocher, on décolle. Comme ce drone qui surplombe de manière fascinante la course de kayaks de nos acteurs principaux. Et lorsque s’impose la distance, il y a toujours une petite phrase bien sentie pour nous ramener au plus près de ces personnages tellement vrais. Les émotions affleurent, à fleur de pellicule, à fleur de peau.


Stéphane Henocque a toutes les armes pour faire du cinéma… son cinéma. Un cinéma populaire, échappant pourtant au pathos grossier et où rien n’est joué d’avance. Un film sachant aussi s’émanciper des dogmes d’une société prétendument cinéphile mais se galvanisant autour de films d’auteurs inaccessibles et trop pointus. Dans un monde où tout le monde devrait avoir sa place (hé, oui, utopistes que nous sommes), Henocque impose un film et une vision, un rêve éveillé fait avec les tripes et l’envie de bien faire les choses, avec la conscience des imperfections et l’envie d’en tirer le meilleur.


Pour rythmer ce voyage qui ne va jamais bien loin mais nous montre quelques jolies facettes du plat pays qui est le nôtre, Stéphane Henocque ne pouvait pas compter sur les bandes-son qui font habituellement les films de potes (et vas-y que je te mets un petit Band of horses dans Les petits mouchoirs) et c’est tant mieux. Une nouvelle fois, c’est tout le savoir-faire liégeois qui est à l’oeuvre et fait sortir de l’ombre Simon Fransquet (qui a été cherché, excusez du peu, la magnifique voix de Jérôme Magnée de Dan San, Yew ou encore Gaëtan Streel) mais aussi Henry Bliss et Till U Faint. Inconnu au bataillon? Pas pour longtemps. La musique est divine, évoquant les grands horizons. C’est atmosphérique tout en restant vibrant d’intériorité. On ne peut s’empêcher de penser au phénomène « The broken circle breakdown » qui avait mené à une série de concert, il y a quelques étés. D’ailleurs, il se murmure, qu’une soirée-concert « Nous quatre » pourrait bien se concrétiser du côté du Reflektor.


Bref, Nous quatre, c’est une « trajet-die » oscillant plus vers la comédie que le drame. Et la réussite est bien là, souriante, humaine, irréelle aussi. Et quel que soit le succès du film au regard du box-office, il s’agira moins de parler de succès d’estime que de succès inestimable.

Créée

le 28 sept. 2016

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