Bach, Kier, Haendel, Dafoe, Mozart, Barr, Beethoven, et les autres. Le genre de film où le générique suffit à savoir qui est le cinéaste qui s'y cache. Pourtant Nymphomaniac volume 2 s'ouvre sur le même carton que le précédent, celui établissant une censure ayant l'accord du cinéaste en échange de sa dé-responsabilité devant l'objet final. Bien pratique en fin de compte cette censure : si le film est bon, c'est parce qu'elle a été supervisée par le génie. Si le film est mauvais en revanche, c'est parce que ce n'est pas SON film. Dans tous les cas, Lars en sort indemne et peut raconter n'importe quoi, n'importe comment pendant plus de deux heures.

Car raté, le film l'est indéniablement en partie. Pas de prologue puisqu'il s'agit de la deuxième moitié d'une oeuvre plus importante, et on reprend d'emblée dans Joe là où on l'avait laissée : sans sensations. On la découvre aussi changée : monogame, bientôt enceinte et vite mère. Le sujet est d'ailleurs expédié en quelques plans, à tel point que je ne savais pas si elle accouchait où si elle comparait une opération quelconque à un accouchement. Curieux choix qui fait que le film épouse le comportement de son personnage : elle néglige son fils comme le cinéaste néglige ce thème de la sexualité à l'heure de la maternité. Négligence couronnée par le plus étrange morceau de bravoure du film, un calque totalement assumé (musique à l'appui) du prologue d'Antichrist. Je ne comprends pas bien ce jeu un peu grotesque avec le spectateur et j'ai juste l'impression que c'est un signe de faiblesse de la part du cinéaste qui a poussé l'auto-citation un peu trop loin.

Auto-citation quasi-permanente dans cette deuxième partie, puisque l'on retrouve où la référence à Antichrist un clin d'oeil amusant celui-ci à Melancholia lors d'un repas agrémenté de cuillères et chapeauté par un Udo Kier sourcilleux et fidèle au poste. Le casting est plus généralement indicateur de la tendance du film à concentrer tous les thèmes et toutes les lubies de Von Trier : Willem Dafoe fait enfin acte de présence dans un rôle insignifiant, et Jean Marc Barr écope d'une des séquences les plus convaincantes de l'opus. D'une manière générale, LVT semble un peu perdu avec un sujet en or et plus grand chose à dire. Son personnage ne ressent plus rien et son dispositif ne suffit plus à susciter l'intérêt, et cela donne toutes les déceptions et contradictions de cette deuxième moitié de film. Tout d'abord, un paradoxe : on est dans le sexe plus trash, plus torturé, violent et carrément désagréable, mais au final le film parle peu de sexe et n'est que très peu érotique. Le premier volume était bien plus léger et émoustillant, presque jamais glauque, mais là on est plus dans une thématique de la punition et de la privation plutôt que dans celle de la jouissance.

Un premier flashback assez intéressant nous montre le seul et unique véritable orgasme (spontané et mystique) de Joe à 12 ans. La scène est assez géniale, libre, déroutante, drôle. On pense sans y être forcé à des cinéastes de Pasolini à Dumont, et Joe se fait expliquer la signification impie d'une telle apparition. Puis la film s'engage sur une drôle de voie. Au lieu de chercher le plaisir retrouvé par le sexe et la stimulation, Joe hésite quelques instants vers une diversification sexuelle (mal vécue puisqu'entre temps la voilà redevenue monogame ?!) et bascule franchement dans la souffrance, déconnectée ou presque du sexe. A l'écran ça donne une curieuse séquence de triolisme avec deux blacks qui ne parlent pas la langue. La scène déroute, les sexes sont montrés frontalement dans toute leur imposante dimension, mais l'insistance sur le dialecte africain, l'incompréhension entre Joe et les deux hommes et la manière dont au final elle est traitée est étrange, laisse planer un petit doute qui rappelle les effluves nauséabondes de l'insupportable séquence finale de Paradis : Amour (Ulrich Seidl). Le doute est semble-t-il vite dissipé (se voyant délaissée et traitée comme un objet, Joe se tire) et revient de plus belle avec un dialogue effarant sur l'usage du mot nègre. Première grosse casserole. Ici, LVT parle, toujours aussi maladroitement (on repense au premier et son laïus sur le sionisme), ou plutôt il réfléchit à voix haute. Ce pourrait être stimulant comme souvent chez lui mais là ça ne passe pas, c'est une provocation intellectuelle douteuse sur un sujet tranché depuis des décennies dans les pays un tant soit peu modernes. Une autre casserole similaire surgit à la fin lorsque le film se mêle de pédophilie. La séquence de J-M Barr est stimulante, elle illustre bien le côté revanchard qu'a désormais pris Joe, affranchie du sexe physique mais pas du sexe oral, je veux dire du verbe et de ses pouvoirs. Elle charme donc, perverse et un peu sorcière un pauvre homme dont le pénis le trahit malgré lui (belle et amusante idée). Problème, le retour au dialogue Seligman/Joe sur cette digression. L'analyse dérive de nouveau sur une LVT-issade du pire effet. Certes un pédophile qui parvient à se refréner toute sa vie, c'est bien. Mais la pédophilie n'est pas une simple paraphilie ou déviance parmi d'autres, c'est une forme d'aliénation mentale (ou du moins considéré comme telle dans les pays modernes) que l'on doit encadrer et apaiser à défaut de soigner, et il n'est pas du rôle d'un cinéaste de dire que ce n'est pas un si moindre mal.

Mises à part ces deux casseroles, le film reste intéressant à suivre par rapport au premier et dans sa double intrigue païenne/christique qui est théoriquement pertinente mais qui se meut en échec du point de vue de la narration et de la mise en scène. Les moments d'éclats peinent à se faire jour et les séquence SM sont insupportables et évoquent le pire du cinéma de LVT. On y retrouve les travers condamnés par ses détracteurs dans la violence faite aux femmes et l'obscénité avec laquelle elle peut être montrée. Breaking the Waves ou Dancer in the Dark étaient tout aussi violents, sinon plus, mais cette souffrance infligée n'était pas gratuite et complaisante, elle était au service d'une réflexion morale et esthétique. Ici on a juste un étrange tortionnaire qui prend du plaisir non sexuel à frapper des femmes. Aucun érotisme, juste de la violence brute. Affreux. J'ai néanmoins ri à la blague du canard silencieux, petite ponctuation qui rappelle brièvement l'esprit du premier volume.

La chair est triste hélas, et [Seligman a] lu tous les livres. Encore une piste qui aurai pu être intéressante mais qui débouche sur le sordide et l'atroce. La fin est odieuse, libidineuse et gratuite à l'accès, nous laissant totalement sur notre faim. Et d'ailleurs plus j'écris et plus je me rends compte que j'enfonce le film. C'est dommage, les acteurs (surtout Gainsbourg) sont très bons, le film se suit très bien, le jeu sur les textures de l'image est étonnant (vidéo, DV, 35mm, HD, etc), la musique très belle, quelques séquences réussies (dont un beau moment d'érotisme dans la rue avec des soupapes et des capuchons), une jolie référence à Tarkovski et à ses arbres, de bonnes idées sur le papier mais un ensemble confus, qui tourne à l'auto-psychanalyse du cinéaste, sempiternellement en proie à ses démons, et qui y cède malheureusement une nouvelle fois. Antichrist était pour moi un échec moral, un exorcisme aporétique. Antichrist était suivi d'un chef d'oeuvre immense. Espérons qu'il en sera de même avec ce petit rejeton d'Antichrist.

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le 5 févr. 2014

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Krokodebil

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