Ocean's Eleven est typiquement le genre de films qui se regarde une fois de temps en temps lorsqu'on ne sait plus quel genre de divertissement écervelé regarder; non pas écervelé dans le sens stupide, comprenons-nous bien, mais bel et bien parce qu'il ne demande aucune autre faculté du cerveau que le déclenchement de la mémoire : vous n'aurez qu'à noter certains détails et les caractéristiques des personnages pour que Soderbergh vous fasse voyager dans son univers d'arnaque et de duperie, avec une personnalité de poseur ultra classe qui fonctionne à merveille.


On sait lorsqu'on lance ce premier volet qu'on ne devra à aucun moment réfléchir véritablement : ce n'est ni le principe ni l'intérêt de ce remake classieux entièrement tourné vers la surprise et l'éblouissement. Un principe de divertissement brut qu'il respecte du début à la fin, en appliquant notamment, des années avant Le Prestige, ce que Nolan caractérise comme la volonté du spectateur d'être dupé : dans Ocean's Eleven, on se moque de possibles incohérences et de facilités scénaristiques (encore qu'il faudra chercher très profondément pour en déceler), c'est ce rebondissement final, épique et malin, qui compte plus que tout.


Les préparatifs, la formation du groupe, la classe des acteurs et la mise en scène très maîtrisée de Soderbergh, les dialogues finement ciselés et la photographie sobre qui donne parfaitement le ton, c'est comme si tous ces éléments étaient placés en travers du spectateur et de la conclusion, et qu'ils servaient à balader le premier pour le mener, sans qu'il ne s'en doute jamais, vers la surprise désarçonnante de sa résolution spectaculaire.


Et l'on se retrouve au sol, sans n'avoir rien vu venir : profondément malin, Ocean's Eleven a l'intelligence de proposer tout un tas de subterfuges, de jouer sur sa nature superficielle et poseuse pour dissimuler l'intelligence et l'habileté de son écriture. Parce qu'on en vient à sous-estimer ses capacités de structure d'intrigue (en même temps, rien ne semblait complexe durant sa première heure), cette conclusion très intelligente fait l'effet d'une bombe à retardement parfaitement dissimulée dans de la paille.


Censément, on s'en retrouve éberlué et l'œuvre gagne en estime : seulement, comment oublier que pour arriver à tout cela, il aura fallu passer par une quantité de poses forcées certes bien exécutées par les acteurs (le trio Clooney, Pitt et Damon faisant des étincelles) mais loin d'être à la hauteur de ce qu'on aurait pu attendre de la formation d'un tel casting. Là où Les 7 Mercenaires, Un pont trop loin, Avengers même, réunissaient un grand casting/de grands personnages en développant avant tout les personnages et leurs interactions, celui-ci décide de les placer sur une même ligne de classe profondément artificielle.


Ainsi, on ne considère plus les personnages en tant que tel, pour leurs traits de personnalité ou les enjeux qui les concernent, mais bien parce que ce sont des acteurs que l'on apprécie qui prennent des poses classes : on ne voit pas Ocean dans un Casino mais Clooney pré-café, Rusty Ryan avec des lunettes mais Brad Pitt qui joue les jolis playboy célibataires (il ferait presque penser à son rôle dans Mr. and Mrs. Smith), ni même Tess Ocean en femme perdue mais Julia Roberts resplendissante dans son rôle et sa tenue.


Cela ne peut que gêner l'immersion obligatoire au développement du rebondissement final : s'il n'en pâtit pas particulièrement, notamment grâce au talent de metteur en scène du réalisateur, c'est toute la profondeur du film qui s'en trouve éjectée. Et c'est aussi pour cela qu'Ocean's Eleven n'est pas une œuvre qui conserve sa fraîcheur au fil des années qui passent : parce qu'on ne le regarde ni pour ses personnages ni pour son intrigue, mais pour ses acteurs et son climax saisissant.


Cette alchimie entre acteurs et surprise ne pouvait naturellement fonctionner que pour un film; il n'est donc pas étonnant que pour la suite, Ocean's Twelve, l'équipe entière se soit prise les pieds dans le tapis en voulant partir toujours plus loin dans l'esbrouffe, et faire toujours différent dans la duperie. Seulement, ce qui marche une fois en coup de bluff ne fonctionne pas forcément lorsque l'on décide de faire tapis.


Parce qu'une fois que le public sait comment il a été dupé, le Prestige doit changer de nature pour ne pas devenir obsolète et fusiller les tours de son magicien.
Malheureusement, Soderbergh n'a pas senti le vent tourner et s'est évertué à reproduire une artificialité toxique pour son art.

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le 9 juil. 2020

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FloBerne

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