Scénariste et réalisateur, Arnaud Malherbe s'est jusqu'ici autant investi dans le court-métrage, que dans la série TV, voire même la bande-dessinée. Avec Ogre, son premier long-métrage pour le cinéma, il conjugue les névroses enfantines aux contes de Perrault en plongeant ses spectateurs dans un univers fantastique fait d'ombres, de craquellements et de monstres.
Pour fuir les violences conjugales dont elle est victime, Chloé déménage pour la profonde campagne morvandelle avec Jules, son fils de 8 ans malentendant et à l'imagination débordante. Nouvelle institutrice d'un village, Chloé s'éprend du médecin local. Un homme au comportement étrange aux yeux de Jules qui reste persuadé qu'il est le monstre qui dévore les veaux dans les champs et le responsable de la disparition d'un autre enfant...
En s'inspirant de ses propres cauchemars enfantins, Malherbe fait ici preuve d'une rigueur relativement rare au sein du cinéma de genre français. Une rigueur qui s'étend à tous les éléments de son film : écriture, mise en scène et interprétation qui mettent considérablement à l'amende le moindre projet des fanfarons Bustillo et Maury. À la différence des deux lascars sus-cités, Malherbe ne cherche en aucun cas l'esbroufe et relate avec une justesse peu commune le regard qu'un garçonnet traumatisé puisse porter sur notre monde. Solitaire et souffrant d'un handicap sensoriel, le jeune Jules, incarné par le prodigieux Giovanni Pucci, happe immédiatement l'attention de par sa capacité à développer une forme de sixième sens lui permettant de mieux saisir un environnement toxique et dangereux, gangrené par l'intolérance, le harcèlement scolaire, mais aussi la rapide intrusion d'un inconnu dans l'entourage de sa maman, aussi meurtrie que lui par les évènements passés mais qui se doit de garder la tête haute avec courage et lucidité. Des thèmes presque bateaux que Malherbe réussit à développer avec subtilité et sensibilité, à l'exemple de cette magnifique relation amicale, voire amoureuse, qui unit Jules à Alice, sa jeune camarade de classe.
La maison de campagne où résident Chloé et son fils, voire la campagne elle-même avec son lac et sa terrifiante forêt, Malherbe en fait un personnage à part entière. À l'instar de la faune aviaire avec qui Jules communique tel que Jennifer Connelly s'y attèle avec les insectes dans le célèbre Phenomena de Dario Argento. De ce fait, le genre fantastique suinte ici dans chaque plan qui témoigne d'une authentique réflexion de la part de Malherbe sur la façon d'aborder son récit et dont la subjectivité jaillit sur l'intégralité de l'histoire.
Quant à Ana Girardot, excellente comme à son habitude, elle incarne une jeune maman sensiblement abattue par son passé et qui fait preuve d'un amour totalement inconditionnel envers son fils qu'elle soupçonne pourtant parfois d'être totalement perché. Une ambiguïté constante pour un personnage psychologiquement fragile et dont la comédienne maîtrise chaque émotion avec un investissement digne des plus grandes. Bref, Ogre reste une bien belle surprise au sein d'un genre qui a rarement été convainquant dans notre pays.