Il y a des femmes comme ça, trop étincelantes pour qu'on ose, qu'on daigne même les aborder, de peur des les éclabousser de notre vilenie masculine, de peur de se faire notre propre miroir et voir en notre reflet l'indignité.
Il m'aura fallu un certains courage pour me lancer dans l'écriture de cette critique tant je suis peu sûr de pouvoir rendre justice à ce que je considère comme un monument, un film de génie. Aussi sommes-nous là en face d'un film tellement dense que pour s'y lancer, il faut définitivement mettre ses scrupules de côté, se dire qu'on ne pourra pas tout dire, et se faire plaisir. Même si je ne suis pas à l'abri d'une déconvenue monumentale, je me serai amusé, et qui sait, peut-être que je ne rentrerai pas seul ce soir.


Oldboy, dont l'invraisemblance tient du conte et dont le tragique baroque en fait un récit presque mythologique est une dérouillée filmique telle qu'elle ne peut laisser indifférent. Avant toute chose, parce que je ne le dirai pas ailleurs, la performance de Choi Min Sik est juste hallucinante, comme souvent, le génie.
Même si la pierre angulaire du triptyque de Park Chan Wook est tout clairement la vengeance, les thèmes abordés dans Oldboy sont vastes et tous d'une profondeur gênante. Bien que l'histoire de cette vengeance peut se suffire à elle-même, elle est finalement le tapis rouge qui se déroule pour nous parler de choses plus graves.
Une des réflexions qu'impose le film est celle du poids de nos actes sur la réalité d'autrui. Mais comme c'est somme toute une banalité tacite pour le commun des mortels, Park Chan Wook, visiblement bien décidé à nous réveiller, prend son temps pour nous le rappeler une fois pour toute. Le constat est malgré tout pessimiste car en dépit de la rédemption de Oh Dae Su durant son incarcération, où il décide de lister tout le mal qu'il a pu faire aux autres, c'est une action des plus anodines, innocente et à laquelle il n'aurait pu penser qui aura fait basculer la vie d'un autre, nous disant ainsi que le contrôle sur les conséquences de nos actes est impossible. Pêcheurs malgré nous.
Ceci pose donc la question du déterminisme et du libre arbitre, omniprésent dans Oldboy. La moindre petite action implique des conséquences inévitables, une réaction en chaîne dont la volonté s'extirpe, peu importe qu'elle soit bienveillante, malveillante ou juste passive. Et évidemment, c'est la grosse claque, le grand vertige quand on se rend compte finalement que le héros n'a tout simplement aucun libre arbitre et que par un jeu des causes et des effets, il aimera de toute façon sa propre fille. Bien sûr, tout ceci est à accoler à une réflexion sur le conditionnement et la manipulation, mais nous renvoie toujours à la question du libre arbitre chère au réalisateur, et ce dans toute son oeuvre. Park Chan Wook non content de nous remettre à notre place déposera sa dernière pépite à la toute fin du film, l'ultime coup en ne laissant qu'un moment de libre arbitre à son héros qui sera de choisir s'il désire le garder, ou l'oublier complètement, vous connaissez la suite...
D'ailleurs je dis héros, c'est sans doute une erreur, dans ce cas précis il faudra sans doute parler de "personnage central" puisqu'au fond, Lee Woo-jin, le geôlier, le commanditaire, est lui aussi le héros du film. Un personnage beau et complexe qui n'a de raison à son existence que la vengeance et qui en est finalement confronté à l'absurdité absolue. Une fois son oeuvre achevée, c'est la perte de sens, et pour nous, spectateurs, c'est la compassion coupable.
Park Chan Wook aime faire souffrir ses personnages, à des degrés qui communément nous échappent, et quand on pense avoir atteint le point culminant de la souffrance, il y a ce petit côté sadique a en rajouter une dernière couche. A ce titre je mentionne entre autre le faux pacemaker sensé arrêter le coeur de Lee Woo-Jin et sa télécommande. Quand on croit, après une séquence ultra violente que la douleur s'estompe, c'est l'enregistrement qui démarre. La cerise sur ce putain de gâteau du supplice. Sérieusement ?
C'est donc ce personnage torturé et bourreau qui finalement se chargera de transformer toute l'immoralité apparente de ses actes, de l'intolérable inceste en quelque chose d'amorale. Un sentiment qui n'est pas sans me rappeler celui provoqué par Seul Contre Tous de Gaspar Noé, en moins brutal et viscéral peut-être.
Il y a toujours des sujets plus délicats à manier que d'autres, et quand on s'y attèle, il vaut mieux ne pas se viander. L'inceste fait partie de ces sujets intouchables, d'autant plus si il concerne un père et sa fille. S'y attaquer en soi est courageux, mais réussir à le manier de la sorte, c'est juste l'exploit. Loin d'être moralisateur, ni sans nous proposer une alternative au dégoût réflexe que provoque l'idée en elle-même, ce qui aurait été malhabile, Park Chan Wook nous propose de pardonner.


Donc, malgré un pessimisme et un fatalisme apparent, Park Chan Wook nous laisse une porte de sortie profondément humaniste qui se résume à la phrase récurrente du film "Je sais que je suis un monstre, pourtant moi aussi, j'ai le droit de vivre.". Finalement, nous forçant à constater avec gêne l'inutilité de la rédemption, notamment avec la scène d'auto-mutilation dans le dernier acte et la réaction finale de Lee Woo-Jin, ainsi que l'incapacité de contrôle sur notre existence, le réalisateur nous propose à la place le pardon du pêché originel, celui d'être humain.


Gerwin


P.S : Je viens juste de réaliser la possible connotation raciste du titre, et je tiens à préciser que c'est totalement involontaire, j'ai simplement pensé à Gainsbourg à l'origine. Donc comme c'est maintenant dit, et bien je le garde, en riant. Moi aussi, je suis un monstre, mais j'ai le droit de vivre ?

Gerwin
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le 1 févr. 2016

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