Un film important
En effet, ce film mérite une réhabilitation. C'est un film bien plus important qu'on ne l'imagine dans le paysage cinématographique français de l'après seconde guerre mondiale. Il est resté, jusqu'à "Gazon maudit" en 1995 (!), un des seuls films français à parler aussi frontalement de l'homosexualité féminine.
C'est exactement la même chose à l'étranger, où, comme ici nous fumes plus enclin à aborder l'homosexualité masculine, même si celle-ci l'était d'un point de vue surtout caricatural.
Il y a bien eu "Les biches" (1968) de Claude Chabrol (avec le couple Stéphane Audran-Jacqueline Sassard), mais le réalisateur est plus ambiguë dans son "positionnement" à l'égard du "lesbianisme".
Josiane Balasko et son "Gazon maudit", enfonça des portes qui étaient verrouillées à double tour, et ce fût l'exemple qui permit d’ouvrir la voie à d'autres cinéastes, surtout des réalisatrices, telles que Céline Sciamma, Catherine Corsini, Marina de Van et des réalisateurs comme François Ozon et Abdellatif Kechiche.
Ici, le cinéaste, est aussi une réalisatrice. Et non pas des moindres, d'un point de vue historique: Jacqueline Audry, seule femme cinéaste des années 40 et 50, rejoint bientôt par Agnès Varda.
En 1951, la référence restait le "Jeunes filles en uniformes" de Léontine Sagan, chef d'oeuvre allemand de 1931. Et ce n'est certainement pas un hasard si c'est une femme derrière la caméra !
Car, comme dans ce film-ci, je pense que tout est dans le "regard" posé par les femmes sur l'homosexualité féminine, plus frontal et authentique, moins hypocrite, mais néanmoins sensible et délicat, car il n'y a pas de condamnation. Bien au contraire !
J'imagine qu'il a fallu un grand courage à Jacqueline Audry pour mener à bien ce projet étonnement subversif pour le début des années 50. Certainement a-t'elle dû profiter de son succès avec "Gigi" en 1949, pour risquer cette adaptation du roman de Dorothy Bussy. Les actrices ont également eu beaucoup de courage, Edwige Feuillère et Simone Simon en tête, en acceptant de s'engager et de jouer dans ce film au propos aussi "moderne".


Un film réussit et moderne dans le propos
Sur un plan plus artistique et cinématographique, nous n'avons pas à faire au chef d'oeuvre du siècle. Jacqueline Audry était plutôt dans la veine des cinéastes "qualité française" et ne prenait pas beaucoup de risques dans ses cadrages et le découpage de ses films. Cependant,ici, l'ensemble, très Ophülsien (bonne photo, excellence des décors et costumes), est d'une excellente tenue, bien plus que certains films français de l'époque, vraiment surestimé. De plus, l'adaptation et les dialogues me semblent aussi subtiles qu'intelligents. La réalisatrice nous amène peu à peu à découvrir les véritables attirances et sentiments de Mademoiselle Julie (Edwige Feuillère) en jouant sur les ambiguïtés et les coups d'éclats de Mademoiselle Cara (Simone Simon), les allusions subtiles des jeunes pensionnaires et autres professeures jusqu'aux affrontements directs entre Julie et Cara... Les deux actrices apportent beaucoup d'épaisseur émotionnelle à leur personnage, plus que l’héroïne, la jeune Olivia (Marie-Claire Olivia, personnage pivot du film, mais finalement plutôt accessoire):
- comme souvent, il se dégage en premier lieu du jeu d'Edwige Feuillère, une autorité, une force et un charisme inébranlable, dont elle se sert dans un second temps, pour mieux faire ressortir ses failles et le désir "saphique" qui brûle sous la carapace de Mademoiselle Julie.
- dès le départ, Simone Simon, elle, joue merveilleusement, sur le caractère ambiguë, jaloux et excessif de Mademoiselle Cara. On comprend vite que tôt ou tard, ce sera surtout elle qui "explosera" en cours de route.


Le film tout en restant "pudique" - nous sommes en 1951 - parle et montre courageusement de désir et d'amour entre femmes et/ou jeunes femmes. En choisissant d'adapter cette histoire se déroulant dans un pensionnat de jeunes filles, Jacqueline Audry, cède surement à certains "clichés" et s'engage sur le territoire de "Jeunes filles en uniforme". Peut-être était-ce pour s'éviter un projet plus "libre" et moins "corseté" qui aurait pu lui attirer les foudres de la censure. Cependant, son tour de force est de ne rien éluder, de ne rien suggérer, de tout montrer. On se dit je t'aime et on s'embrasse face caméra. Il y a même une scène où Victoire, la cuisinière (la gouailleuse Yvonne de Bray) et Mademoiselle Dubois (la hiératique Suzanne Dehelly) osent carrément qualifier le départ de Melle Julie comme d'un vrai "divorce" entre elle et Melle Cara !
Au fond, en nommant et en montrant la réalité de la vie amoureuse de ces deux femmes, Audry évite l'écueil de la caricature et fait montre d'une étonnante modernité.

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