Quentin Tarantino, âgé maintenant de plus de soixante ans, et oui le temps passe vite, dit vouloir s'arrêter avec son prochain et dixième film (on a parlé d'un Star Trek et maintenant d'un Kill Bill Vol.3, qui ne serait certainement pas de refus), et si l'on peut bien se questionner sur la véridicité de cette déclaration de la part d'un grand cinéaste cinéphile (d'autant plus qu'il considére finalement Kill Bill non plus comme un ensemble mais comme deux films pour retarder le final fatidique), toujours est-il qu’on est bien attristé de voir un tel réalisateur vouloir se retirer ainsi, tant Tarantino était un maître de la citation cinéphile et du cinéma en général, réussissant avec brio à faire du cinéma de série B (voir Z avec Boulevard de la Mort) pour un grand public dans le monde entier, tant surtout d'un autre côté Once Upon a Time... in Hollywood était la fin parfaite de sa filmographie, d'une œuvre tout simplement, et d'une vision d'un cinéma vintage, tel que l'on ne produit que beaucoup plus rarement aujourd'hui.


Tarantino a toujours eu un côté fétichiste, ce n'est un secret pour personne, et pas seulement par rapport à son attachement particulier pour les pieds: à travers toute sa filmographie, se sent une envie de célébrer le cinéma de genre, de recréer, à travers ses citations bien sûr, parfois même jusqu'au bord du plagiat, ou dans le cas de Reservoir Dogs, jusqu'au remake. Une envie d'imiter, imiter les films hongkongais, les westerns spaghettis, les films de sabre, tout, imiter ces petits films que lui seul adule parfois, imiter le grain de la pellicule, ou même ses imperfections, ses sauts abruptes et ses rayures, comme dans Boulevard de la Mort, imiter, jusqu'à choisir de filmer ses Huit Salopards dans un grandiose Panavision 70mm.
Ce Once Upon a Time, plus qu'une apogée encore, est un véritable aboutissement et une prolongation de tout cela, tant il s'agit d'une œuvre fétichiste totale et complète: Tarantino, avec le plus gros budget de toute sa carrière, additionne les fictions, d'inexistantes séries B à La Grande Évasion version dicaprienne, multiplie les formats du 16mm des serials passant à la télévision jusqu'à son flamboyant 35mm tourné à la Panavision, qui se déploie avec jubilation lors des scènes de conduites.
Il s'amuse à recréer, comme Alfonso Cùaron auparavant avec Roma, toute son enfance à la fin des sixties et son berceau : Hollywood. Les salles de cinéma bien sûr, les drive-in, les rues éclairées par les néons des enseignes, les studios, les villas de riches acteurs ; Hollywood, la Mecque du cinéma, recréé totalement, jusque dans sa radio, grésillant au rythme des airs qui sentent bon les années 60 pop, et ses publicités auxquels QT se plaît à mêler les marques de son univers, les cigarettes Red Apple entres autres, tout comme il mélange personnages de fiction, Rick Dalton et Cliff Booth, au milieu des stars de l'époque, Sharon Tate, Roman Polanski, Steve McQueen, etc... Deux heures et quarante minutes plongées en Californie ensoleillée.


Seulement, et c'est là ce qui fait de Once Upon a Time... in Hollywood un chef-d’œuvre, supérieur à un Boulevard de la Mort par exemple, le film ne se résume pas à cet aspect vintage, à ce musée des années 60 nous proposant un véritable voyage dans le temps, et Tarantino ne se complaît pas bêtement dans sa nostalgie. Au contraire, il s'agit plutôt de remettre en question un Hollywood au bord du gouffre, qui se résume ici à de petits épisodes de séries télés, de réaliser un film dans cet entre-deux que représente 1969, alors que Bonnie et Clyde, Easy Rider, Le Lauréat et beaucoup d’autres connaissaient un franc succès et faisaient sonner le glas des vieilles mœurs, avec cet relation entre un jeune homme, étudiant, et une vieille épouse, la fameuse Mrs.Robinson, dont on entend justement la musique titre de Simon et Garfunkel, exactement au moment où Cliff prend en stop une jeune hippie délurée, qui lui propose en toute innocence de lui tailler une pipe…


Ce n'est en effet pas un hasard si le cinéaste fait de son duo central un acteur déchu, désormais réduit à des rôles de méchants diaboliques perdant toujours la bataille entre le bien et le mal, et son cascadeur, homme-à-tout-faire vieillissant, un peu réactionnaire (« Don’t cry in front of the mexicans!»), et accusé du meurtre de sa femme: ces véritables losers, «has-been», représentent tout un pan de cinéma de divertissement oublié, de véritables faiseurs, artisans du cinéma, toute l'aura d'un Hollywood des années 50, dans ses grosses productions, ses films d'aventures et ses westerns, éclipsés au crépuscule des années 60 par toute une nouvelle génération d'auteurs qui formeront le Nouvel Hollywood. Des singes en hiver.
Au milieu de toutes ces stars, c'est auprès de ces deux types que Tarantino pose sa caméra, auprès de ces deux reliques d'antan, comme en hommage au cinéma de son enfance, au cinéma qui l'a bercé, tel Rio Bravo, ce western hawksien qui sera plus tard voilé par toute une génération de spaghettis, ceux que déteste justement Dalton, puis dans lesquels il tournera pour se faire une petite carrière italienne, et surtout un gros cacheton.
Tel dans cette séquence en montage alterné, où l'on suit à la fois les aventures de Rick sur le tournage d'un western dirigé par un réalisateur quelque peu farfelu et les mésaventures de Cliff au royaume désenchantée des hippies, dans un ranch désaffecté ayant servi au tournage d'un de ses précédents films, ironie ô combien révélatrice, sans oublier le quotidien fait de fêtes et de sorties au cinéma de l'angélique Sharon Tate (dont on reproche son manque d’importance dans le récit et la brièveté de ses dialogues, totalement justifiés pourtant puisqu’il s’agit non pas de faire le portrait d’une personne banale, mais d’une star magnifique que l’entièreté de Hollywood convoite), Tarantino, sans les opposer avec manichéisme cependant, compare la mort d'une époque et la naissance d'une autre: «Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change.»


Pendant les deux premières heures, Tarantino fait de cette reconstitution, presque comme un historien, le centre et les contours de son récit, à tel point que l'on se demanderait presque s’il ne s'agirait pas là de son « film de la maturité » (expression un peu absurde), sans grotesque, sans effluves de sang ou poussées de violence. Deux heures au combien fascinantes, mais étrangement peu tarantinesques (malgré la scène du ranch, qui, certes est assez drôle et un chouia violente, mais se rapproche davantage d'un suspense horrifique conviant Massacre à la tronçonneuse), plus proche de ce qu'avait fait, encore une fois, Cùaron avec Roma, dans un rythme plus rapide cependant.
Puis, une mélancolique cover de California Dreaming ponctue ce qui semble être la fin, triste, les derniers plans, à l'allure lugubre, qui montreraient donc la fin définitive des sixties, la fin d'une ère, d'un cinéma, la fin. The End. Mais... Non. Rien de tout cela, et Tarantino étonne avec l'arrivée soudaine d'une voix-off narrant avec précision une certaine journée, celle, funeste, du 9 août 1969: si les cinéphiles auront compris que sera traité l'assassinat brutal de Sharon Tate par la secte de Charles Manson, assassinat qui choqua et provoqua un traumatisme collectif empreint de paranoïa sur la ville, marquant ainsi la fin symbolique de l’âge d’or, difficile alors de savoir comment il sera traité vu le ton des deux précédentes heures. Mais quand vient la scène uchronique fatidique (Booth élimine avec une grande cruauté et non sans humour les hippies tueurs machiavéliques et Dalton en profite même pour en cramer une, qui ne pourra ainsi certainement pas toucher à un seul cheveu de Sharon), l'évidence ressurgit, Tarantino redevient Tarantino et la violence gore, comique même, dégouline à l'écran.
Au-delà de l'aspect hautement jouissif de ce véritable twist, au-delà de cette grandiloquente revanche rappelant le meurtre d'Hitler dans Inglourious Basterds, cette fin, cet épilogue, c’est la merveilleuse cerise sur le gâteau qu’est Once Upon a Time, et quand la douce voix de Tate retentit à l’interphone, qui ne sera donc pas morte le soir du 9 août 1969, tandis que le doux-amer thème Miss Lily Langtry de Maurice Jarre débute par quelques lentes notes de piano, alors on se prend à avoir quelques frissons le long du dos.
Cette fin, ou plutôt ce refus de finir, c’est le vieil Hollywood qui sauve le nouveau, le nouveau qui accueille le vieil, c’est une véritable réconciliation, une rêverie qui immortalise un instant entre la fin d’une ère et le début d’une autre, sans rivalité quelque conque mais dans un amour du cinéma total. Un âge d’or éternel, loin de toutes les dérives causées par un mouvement hippie dénaturé de sa conviction (la paix) et résumé à des délires mystiques.
Simplement, tout cela, ce n’est bien sûr qu’une rêverie, un conte, un songe purement tarantinesque, et le titre qui apparaît pour clôturer le tout nous le rappel: il était une fois… Hollywood. Il était une fois le cinéma.


Alors voilà, si l’on accueillera toujours avec grand plaisir un nouveau Tarantino, toujours est-il que ce Once Upon a Time… in Hollywood, par sa reconstitution incroyable du Los Angeles de 1969, son aspect cinéphile, son hommage au cinéma même, comme il a toujours été habituel chez QT mais ici poussé à son paroxysme, sa diversité des intrigues et des formes d’intrigues même (du western, de la comédie, des chroniques peoples, des scènes de suspens, de bastonnades ou de pures boucheries tarantinesques, etc..), par sa manière même de mettre sous les feux des projecteurs deux losers sympathiques et touchants, loin de tous les héros badass qu’a pu nous montrer Tarantino, par tout cela et bien plus encore, et bien ce Once Upon a Time se révèle être l’aboutissement de toute une carrière, de toute une filmographie, une œuvre, une manière unique de concevoir le septième art, et de ce fait, l’un des meilleurs crus de Quentin fucking Tarantino.


«Goddamn hippies!»

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le 7 août 2021

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