Puisque le film est en deux parties, je dirais que la première partie est magnifique, sublime, renversante, peut-être le plus beau film de Tarantino avec Jackie Brown ; parce qu'elle ne triche pas : tout repose sur l'habileté du cinéaste, sa capacité à faire exister un plan, un visage, un sourire, un geste, un coup de vent dans les cheveux, et plus encore, une ambiance, une époque, une lumière et surtout une temporalité, plusieurs temporalités : on passe de Rick à Cliff à Tate à Polanski comme une ballade sur la montée de Cielo Drive, ces gens sont beaux, ces gens existent, ces gens vivent. Et on se dit : ces gens vont mourir, et c'est cela qui est somptueux. Qu'un cinéaste se saisisse de l'horreur et qu'il en fasse quelque chose, non pas qu'il la réécrive, mais qu'il s'y confronte pour faire autre chose - et dans son cas, c'est bien peu, et tant mieux : simplement regarder comment ces acteurs névrosés et ces stars d'un autre monde vivaient, aimaient, se déplaçaient dans l'espace. C'est extraordinaire.
Et puis vient la seconde partie où Tarantino réécrit l'histoire. Déjà, c'est insupportable et indigne pour les gens qui l'ont vécu. En voyant ça je me dis : est-ce que Polanski va voir le film ? Et là, j'ai honte pour Tarantino.
Et surtout parce que Tarantino n'est plus un cinéaste à ce moment là. D'ailleurs, ça se voit, il rajoute une voix off, bâcle les intrigues, ne sait plus faire durer un plan, il n'y a que du savoir-faire mais sans le panache et le génie, juste l'excitation d'en mettre plein la vue. Tarantino est comme Speilberg : il est incapable de voir l'horreur du monde, car il ne sait pas s'en saisir, il préfère se créer une forteresse de maniérisme et de vanité. Sauf que cette forteresse n'a rien à voir avec le cinéma, elle à avoir avec la culture (avec la règle, dirait son idole...) Tarantino fait des hommages, beaux et parfaits, certes. Mais au dessus de l'hommage, il y aurait, encore une fois, le cinéma, vraiment, le cinéma qui devrait faire autre chose que la publicité de ce qui est filmé. Il y a avant tout, au dessus de tout ; des corps et des visages et des êtres qui vivent, que Tarantino sait regarder une heure, c'est vrai, avant de céder, et de retourner vers la facilité de l'hommage, de l'éloge froid et désincarné, lui faisant perdre toute capacité de raisonnement, le noyant dans la trahison du réel, de ce qui a été et qu'on ne peut effacer. C'est la victoire de l'idéologie et la défaite du voir : Tarantino ne voit plus rien, il créé un écrin d'or pour ses visions les plus immatures. Il oublie le monde.
C'est triste de voir l'un des cinéastes les plus doués, et qui pourrait sans doute être l'un des plus humanistes aujourd'hui (Di Caprio et Pitt sont d'une dignité incroyable, ils m'ont plusieurs fois arrachés les larmes), un cinéaste qui sait ce qu'est un plan, une scène, un décor, un acteur et une actrice ; ne grandira jamais vraiment. Peut-être ne sait-il pas quel talent il a. Peut-être se voit-il (c'est fort possible) plutôt comme un ambassadeur d'un certain cinéma plutôt que comme un cinéaste qui a les moyens de dire quelque chose. Peut-être, au fond, n'a t-il pas grand chose à dire. Ou peut-être que lorsqu'il cherche, justement, à dire, c'est là où tout devient obscène : du reste, dans cette fabuleuse première partie, il n'y a pas grand chose non plus, et c'est magnifique. Pulp Fiction et Jackie Brown étaient des films honnêtes et droits, sans autre ambition que de regarder des hommes et des femmes plus vrais que nature se balader dans la ville. Hélas, Tarantino ne saura plus jamais se contenter de cette faiblesse là.