"Quand je suis allé voir le film à New-York, ils n'ont pas voulu me laisser entrer, ils m'ont dit que ce n'était pas un film pour les vieux, mais pour les jeunes..."
Anthony Burgess.
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Orange Mécanique constitue l'ultime palier de la carrière de ce brave Stanley. C'est le moment où il n'est plus un cinéaste : il est un Dieu... 2001 : L'Odysée de l'Espace a fait de lui l'esthète intouchable parmi les intouchables et plus jamais il n'aura de comptes à rendre à un producteur, ou un distributeur ou même un simple mec assis devant un écran. Il fera ses films quand il en a envie, quitte à prendre un bouquin au pif pour l'adapter vite fait, histoire d'avoir un plan de travail.


Première victime de cette nouvelle approche : A Clockwork Orange d'Anthony Burgess.


Le film marquera des générations pour son imagerie débridée, uchronique, d'une jeunesse si perdue qu'elle s'habille n'importe comment et boit du lait en écoutant des covers de Beethoven par Jean-Michel Jarre. On parlera d'Avant-Garde. Or l'avant-garde, Kubrick s'imagine bien la connaitre, puisqu'il a imposé des minutes entières d'Aram Khachaturian dans 2001... Sauf que, loin de faire les choses comme elle se feront plus tard before it was cool, il décide de faire son film comme personne n'en fera jamais. De la Nulle-Part-Garde, en somme.


Ça pourrait marcher, à vrai dire. Des OVNIs destroy, l'Histoire du 7e Art en connait un paquet. Mais hélas, trois fois hélas, Stanley s'attaque à un monument de la littérature contemporaine, impossible à adapter au pied de la lettre sous peine d'être littéralement crucifié, et il va mettre tout son génie en œuvre pour filmer l'horreur humaine tout en satisfaisant les amateurs de sensations fortes aussi bien que les âmes sensibles de la MPAA...


Et c'est sur ce terrain que le film coince. Systématiquement. Scène après scène. Le travail d'adaptation est tout simplement foireux.


Je donne un exemple : Alex-du-film a la vingtaine bien tassée quand il drague des filles, la vingtaine, chez un disquaire. Il les amène chez lui et entreprend de les entreprendre, en accéléré sur l'Ouverture de Guillaume Tell parce que c'est plus rigolo. Tout le monde, absolument tout le monde se souvient de ce plan cul. Il a été étudié, dépecé, analysé, copié et parodié. Sauf qu'Alex-du-Livre n'a pas encore quinze ans au moment des faits, il séduit des gamines de onze, et il les viole. C'est pas une partie de jambes-en-l'air youpi-tralala, c'est un viol pur et simple, décrit comme tel à la première personne. L'Alex-du-film au cours de cette scène n'a à ma connaissance rien fait de répréhensible... Ça a même été fun !


Ce rapport complètement niqué à la représentation de la violence se perpétue tout au long du métrage, rendant l'horreur mondaine, l'abject désirable. Je ne vois rien de plus détestable. Ça ne sert à rien de se placer en tête des génies formalistes si c'est pour ne pas avoir la présence d'esprit de constater qu'on est en train de détruire les fondations même du roman.


Je sais bien qu'un film peut s'affranchir de son matériau de base, mais c'est là pour laisser libre cours à sa fantaisie sans rien raconter de précis ou de percutant. A la fin, Stanley place une sorte de brulot politique in extremis histoire de justifier l'existence du film, mais c'est complètement hors sujet, caricatural et très mal joué en prime. S'il s'était concentré sur le récit au lieu de passer son temps à chercher des gadgets comme 'Singing in the Rain' ou sa grosse bite en porcelaine, Stanley aurait pu tenir là son meilleur film.


Orange Mécanique compte parmi les merdes qui m'énervent le plus, car il éclabousse tout le monde de son éclat et fait illusion... Des fois, je relis le livre et je pleure.

mikeopuvty
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le 11 juin 2014

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Mike Öpuvty

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