Orfeo
Orfeo

Film de Claude Goretta (1985)

Un petit bout d'Orfeo pour goûter

J’en suis convaincu, la culture, c’est bien beau, mais il ne faut pas se contenter de celle qu’on a. Pour repousser les bornes de nos connaissances il ne faut pas hésiter à emprunter des sentiers parallèles et ainsi découvrir de nouveaux recoins. D’aller là où on se convainquait que ce n’était pas pour nous. Alors parfois je prends mon petit bandeau rouge à la Rambo, je le serre sur mon petit front et m’aventure dans de nouveaux domaines, de nouveaux genres.


Mes quelques cours sur la musique classique ont été aussitôt appris aussitôt oubliés. Ma culture se limite à quelques noms, quelques idées, mais je serais bien en peine de pouvoir dire les noms des grands airs de classique omniprésents dans le cinéma ou la publicité. Je ne l’ai pas si mal vécu, mais il reste au fond de moi une curiosité discrète, une envie d’aller pousser la porte de cette musique de chambre ou d’orchestre.


Voir un opéra reste pour moi un défi, une promesse que je me suis lancé depuis une décennie. Mais mes quelques déménagements à travers la France m’ont rarement emmené à côté de spectacles lyriques. Et bien puisque je ne peux pas voir de l’opéra, il ira à moi !


Car l’adaptation qu’en fait Claude Goretta, célèbre cinéaste suisse, prix du Jury au festival de Cannes pour L’Invitation en 1973, ne s’éloigne jamais loin de la représentation scénique. La célèbre création de Claudio Monteverdi et d’Alessandro Strigio, joué pour la première fois en 1607, est une œuvre majeure de la musique classique, fondatrice du genre opéra. Un astre tel que le film ne cherche pas à en modifier les rayons, même s’il le raccourcit pour le traditionnel 1h30.


L’histoire est divisée en actes, reprenant le célèbre mythe d’Orphée et d’Eurydice, un amour si fort que la mort de la belle n’est pas un obstacle. Orphée ira la chercher aux Enfers, son amour et la beauté de la musique lui offriront un passage vers son but, qu’un trop plein d’amour mènera à leur perte.


Je l’ai dit, je ne suis aucunement un spécialiste mais bien un néophyte, dont les principales observations ne plairont peut-être pas aux Gardiens du Temple de la musique classique. Pour avoir déjà discuté avec des passionnés de musique classique, leurs goûts sont inamovibles, leurs jugements sans appels. Ils ont leurs enregistrements préférés et les autres, ceux qui déshonorent l’œuvre. Les vrais fans hardcore de la musique, ils sont dans le classique. Évidemment je caricature un peu, pour le plaisir de taquiner certaines de ces personnes qui ont des personnalités tout à fait plaisantes en dehors de leurs goûts bien fixes.


Quoiqu’il en soit, si cette histoire est belle et pure, tragique dans sa romance, je ne peux que m’amuser que, des siècles plus tard, certaines ficelles soient toujours utilisées. Le film exalte ainsi les grands sentiments de l’amour et du bonheur, pour que s’abatte d’autant plus brutalement la tragédie. Ce n’est pas fait dans le sens de la mesure mais dans un excès sentimental qui peut parfois déborder. D’autant plus que si cette quête fantastique est intéressante, certains points m’échappent encore. Pourquoi Eurydice se retrouve-t-elle en Enfer ? Qu’on m’explique.


Cette adaptation ne semble pas sacrifier le texte, en tout cas il est chanté d’un bout à l’autre. Avec les sous-titres, il est déjà plus facile à comprendre qu’à l’opéra, pour qui ne maîtriserait pas l’italien. L’exaltation des sentiments est belle, car passionnée et naïve, mais je ne m’attendais pas à découvrir un texte qui ne peut s’empêcher de tout expliquer, voire de le répéter d’une autre façon. Chaque événement est appuyé lourdement, chaque sentiment est dévoilé dans les plus petits détails, avec un lyrisme évident mais qui, pour moi, me donne l’impression d’un texte qui cherche à se faire comprendre en craignant que le spectateur ne reste pas pleinement concentré. Un film ou une série aussi explicative serait moquée, mais pour l’époque cela ne devait pas gêner.


Ce texte chanté l’est toutefois avec une belle maîtrise technique, les airs sont impressionnants, les comédiens modulent leur voix avec des intensités fascinantes. Ce sont des chanteurs d’opéras et des cantatrices de différents pays qui sont recrutés pour ne pas décevoir l’esprit de Monteverdi. Mais puisqu’il s’agit d’un film, même si le doute est permis, la caméra est parfois proche d’eux, et certains n’ont pas un jeu des plus naturels. Il faut reconnaître qu’il n’est guère facile d’être convaincant quand on a la bouche perpétuellement en O à force de chanter. Si j’apprécie plus la voix d’Audrey Michael que son jeu en tant qu’Eurydice, Gino Quilico est fascinant en tant qu’Orphée, qu’il porte magistralement. Non seulement sa voix est splendide, mais il interprète à merveille la joie, la peine ou les doutes, il offre un panel émotionnel absolument saisissant.


Je serais bien en peine de commenter la musique de Monteverdi, loin de moi l’idée de pouvoir gloser sur ce passage de relais entre la musique de la Renaissance à celle baroque. Mais cette orchestration dans l’adaptation possède un souffle, une intensité, et si elle mentionne ses musiciens dans le générique, c’est qu’ils n’ont pas été choisis parmi les moins bons élèves. Comme d’autres moments du film, elle s’éternise parfois, se répétant jusqu’à la fin de la scène, mais ses meilleurs passages soulignent avec force les scènes importantes.


L’adaptation semble fidèle, mais elle prend le risque d’être trop assujettie à l’œuvre originale, notamment dans sa mise en forme. Les décors sont resserrés, construits en studio. Leur artificialité rappelle peut-être que tout ceci n’est que trucage, n’est que spectacle, mais le plastique ou les matières utilisés jurent parfois. La découverte des Enfers est plus surprenante car le lieu est d’une beauté troublante, avec ses décors plongés dans le noir dont ne ressortent que quelques membres dévêtus, avec Charon sur son bateau traversant les rivières de fumées.


Ces décors sont bordés de collines qui coupent l’horizon et mettent en valeur les comédiens. La caméra peut tourner autour d’eux, proposer un peu plus de variété que le point de vue du spectateur assis sur son siège au théâtre, même si cela reste modéré. Un grand travail a été réalisé sur la lumière, mais là encore proche du dispositif théâtral. La sortie des Enfers en est un bel exemple, avec Orfée au premier plan, seul illuminé, traversé par les doutes.


Je ne peux m’empêcher de recevoir cet opéra filmé avec ambivalence, je voulais voir une adaptation d’opéra et je l’ai eue, mais je voulais voir aussi un film, ce qui est moins le cas. J’ai pu être touché par la beauté des émotions de ses personnages ou de sa musique, tandis que ses scènes étirées et au texte répété et balourd ont pu avoir raison de ma patience. Ce qui est plus certain, plus évident, c’est que je connaissais assez mal le mythe d’Orphée et d’Eurydice. Ce ne sera plus le cas.

SimplySmackkk
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le 18 déc. 2021

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