Il s'agit ici d'un travail érigé dans le cadre du cours Questions de Genre, dossier final pour Mme. Hamidi-Kim, dont les consignes était d'écrire sur une œuvre de notre choix, en rapport avec le sujet du cours.

Au cinéma, la transidentité a souvent été incarnée par des acteurs cisgenre hétéronormé. On peut penser à Danish Girl (Tobe Hooper, 2015) avec le personnage de Lili Elbe interprété par Eddie Redmayne, et à Dallas Buyers Club (Jean-Marc Vallée, 2014) avec le personnage de Rayon interprété par Jared Leto.

On embauche jamais – ou extrêmement rarement – un homme cisgenre (= en accord avec son genre assigné à la naissance) pour jouer une femme cisgenre, ou l’inverse. Et faire ainsi, exclusivement dans le cas des personnes transgenres, perpétue l’idée que notre identité est un rôle, un costume que l’on peut enlever à volonté. Jessica

En 2022, le réalisateur espagnol Albert Serra sort son 8ième long-métrage intitulé Pacifiction. Se déroulant sur l’île de Tahiti en Polynésie française, le film raconte l’histoire d’un Haut-Commissaire de la République, De Röller, et de son rapport avec les habitants du territoire. Les rumeurs d’une reprise des essais nucléaires par l'État français n’ont de cesse d’alimenter les tensions sur l’île, ce qui pousse le protagoniste à enquêter. Interprété par l’acteur français Benoît Magimel, ce dernier est la seule star du film. Les autres sont des habitués des productions d'Albert Serra ou des habitants de l’île. Les méthodes du réalisateur poussent les acteurs à improviser, ce qui mène parfois certains figurants à devenir des personnages plus importants. C’est le cas de Pahoa Mahagafanau, actrice transgenre qui interprète le rôle de Shannah.

[...]


Transidentité Polynésienne


Afin de comprendre au mieux l’implication de Shannah dans Pacifiction, il s’agit de déplier quelques aspects de l’histoire coloniale de l’île de Tahiti et de sa culture, en rapport avec les personnes s’identifiant comme transgenre. Mais avant tout, il nous faut déterminer au mieux, à partir des mots de Judith Butler, ce qu’est la transidentité.

Dans son ouvrage Trouble dans le Genre, la philosophe américaine inscrit la transidentité comme une sortie de la norme.

Les garçons qui se sentent filles ou les filles qui se sentent garçons, font-ils ou font-elles autre chose que de canaliser leur énergie libidinale dans le rejet d’une certaine position, position qui consisterait à assumer cette forme d’alignement de genre où les filles se sentent (justement) être des filles et les garçons se sentent (justement) être des garçons. Judith Butler

Toutefois, en parlant de transidentité, il faut savoir se détacher de la notion de sexualité, qui a tendance à rattacher le genre à cette notion binaire du sexe masculin et féminin. Et c’est peut-être là où l’incompréhension peut se former chez certains. En effet, c’est dans cette non-conformité aux « normes d’intelligibilité culturelles » que les personnes transgenres peuvent apparaître « comme des anomalies du développement ou des impossibilités logiques ». C’est pour cela que le cinéma et l’art théâtrale ont pu s’emparer pendant longtemps des transgenre comme des phénomènes de foire, étirant cet aspect « anormale » pour en faire un objet esthétique et exotique. Cette esthétisation a ensuite était réapproprié par certaines communautés LGBTQIA+, notamment pour réaliser un cinéma queer avec sa propre esthétique.

La culture polynésienne a développé une place toute particulière dans sa société pour les personnes du troisième genre, les nommant ainsi māhū ou raerae.

Il n’y a pas [...] de « vraie identité » du māhū et de la raerae. Serge Tcherkézoff

Toutefois, on peut tenter d’en esquisser une différenciation, éloignée de notre vision occidentale sur la transidentité. Le terme māhū désigne des hommes avec des rôles de genre féminin qui développent des traits efféminés. Dès l’enfance, elles sont acceptées et éduquées comme des femmes. Les raerae portent quant à elles une transition d’identité MtF plus marquée, voir extravagante et revendiqué, pouvant aller jusqu’à la transition hormonale ou la chirurgie esthétique, sans toutefois chercher à changer de sexe. Il est important de comprendre que les māhū sont liés à une tradition polynésienne millénaire.

[...] l’acceptation et la reconnaissance sociales des mahu sont obtenues en échange d’une dissimulation et d’une invisibilisation de leur identité sexuelle. Philippe Lacombe

Elles sont reliées à une idée de douceur, non de sexualité, alors que les raerae sont souvent reliés à la prostitution. Les māhū se voient attribuées à des postes dans la fonction publique ou des métiers d’accueil, de service ou d’hôtellerie. Elles travaillent dans des trucs esthétiques, comme si elles étaient des décorations d’une enseigne. Toutefois, ces définitions restent assez poreuses d’une île à l’autre, et il n’est pas rare que les deux termes soient utilisés pour parler d’une même personne.

Le film Pacifiction développe un tout autre problème dans sa narration, lié au contexte coloniale de l’île. En 1880, la Polynésie devient une colonie, avant d’être juridiquement décolonisée en 1946. Toutefois, Tahiti et les autres îles sont restées des produits de la colonisation française. Il s’agit d’une collectivité d’outre-mer qui appartient à l'État français. Le protagoniste du film, De Röller, n’est autre que le Haut-Commissaire de la République, représentant de la France métropolitaine. Le film met en avant certaines réticences des habitants de l’île envers le gouvernement français, notamment vis-à-vis des essais nucléaires effectués dans la région entre les années 70 et 90, qu’ils soient atmosphériques ou souterrains, causant ainsi de nombreux cas de cancers thyroïdiens.

Pacifiction baigne dans une certaine ambiance où le pouvoir de l'État français tend à être contesté par le peuple tahitien. Pourtant, son représentant, De Röller, est accueilli en roi (bien qu’il perde du pouvoir au fil du film) là où les citoyens de l’île sont refusés dans certains lieux réservés aux touristes. Albert Serra filme une île envahit par l’homme blanc. On aperçoit bien ce constat lors des scènes au Paradise Night, boîte de nuit étrange dans laquelle se retrouvent la plupart des protagonistes, pour échanger et se détendre. On y retrouve une certaine caste huppé, servie par des tahitiens habillés en petites tenues (femmes en bikini, hommes en caleçon blanc). Les serveurs sont érotisés et mettent en valeur une forme d’exotisme volontairement extravagante, pour attirer une clientèle étrangère. On retrouve ce même constat lors des séquences de répétitions d’un spectacle de danse traditionnel, auquel De Röller assiste parfois. Ce dernier demande aux comédiens d’ajouter plus de violence et d’animalité dans leur jeu, comme pour correspondre à une vision occidentale fantasmée de la culture tahitienne. A travers Pacifiction, Albert Serra filme les restes colonialistes de notre époque sur l’île de Tahiti.


Représenter la Transidentité à l'Écran


Dans Pacifiction, Shannah est réceptionniste dans une hôtel. On l’aperçoit dès le début du film, lorsque De Röller s’aventure dans les coulisses du spectacle de danse traditionnel. Un peu plus tard, la caméra lâche son protagoniste pour s’intéresser à une interaction entre Shannah et un client portugais qui a perdu son passeport. Ce drôle d’élément perturbateur va permettre à la réceptionniste d’entrer en contact avec le Haut-Commissaire de l’île. L’interprète Pahoa Mahagafanau est originaire de Mahina, dans le nord de la Polynésie française. Lors d’un interview, l’actrice explique avoir été contactée sur Facebook afin de faire de la figuration sur le tournage du film d'Albert Serra. Puis peu à peu, le réalisateur n’a cessé de la recontacter, attiré par le magnétisme de l’actrice à l’écran. C’est au fil du tournage que son personnage a pris plus d’importance dans le scripte, se rapprochant peu à peu du protagoniste interprété par Benoît Magimel.

Au cours du film, il n’est à aucun moment question du genre de Shannah. De Röller, avec qui elle noue peu à peu une relation plus qu’amicale, la traite comme une femme, une « lionne », et ne la remet aucunement en question. En effet, les raerae et les māhū faisant partie intrinsèque de la culture tahitienne, personne dans le film n’a de raison d’interroger Shannah sur son identité. Toutefois, c’est cette tradition qui la range dans la catégorie des agents d’hôtellerie, comme la plupart des māhū. Barrière sociale que Shannah réussit à dépasser en devenant la secrétaire de De Röller, un rôle stéréotypé souvent raccordé au genre féminin.

Du côté de nos sociétés occidentales, les réactions ont été nombreuses quant au personnage de Shannah. C’est en lisant des critiques sur le film que l’on peut se rendre compte que tout le monde a noté le caractère transidentitaire de l’actrice et de son personnage. Par ailleurs, peu sont les journalistes qui utilisent les mots propres à la culture tahitienne. Dans Sight and Sound, on parle de transsexuelle (formulation qui met en avant le sexe et non le genre) ou de travestie (qui désigne l’idée d’un déguisement), ce qui s’éloigne de la réalité de l’identité de Shannah. On peut même retrouver dans certaines critiques bien moins professionnels (cf. Durendal) des commentaires explicitant le caractère inutile du personnage puisque la question de sa transidentité n’est pas soulevée par le film ; comme si toute sa personne devait être définie par la condition de son genre et de son orientation sexuelle. Dans l’ouvrage La transidentité : de l’espace médiatique à l’espace public, l’autrice Karine Espineira revient sur cette image dominante transgenre, utilisée comme représentation d’une condition, et non dans un cadre plus situationnel.

Le personnage devient l’objet d’une identification ou d’un rejet, d’une projection qui n’est rien moins que la nôtre. Karine Espineira

Shannah devient, alors même que son identité n’est pas traitée à proprement parler dans le film, une représentation de la transidentité à Tahiti.

De la même façon que le test de Bechdel, le test Vito Russo (nom d’un militant LGBT, cofondateur de GLAAD) s’intéresse aux représentations LGBTQIA+ au cinéma. Ce dernier est composé de trois points : l’identité du personnage doit être claire ; il doit être complexe et non défini uniquement par son identité de genre ; son implication doit avoir un impact sur l’histoire. En prenant l’exemple de Shannah, on peut répondre à ces trois points : son identité semble assez clair vu que tous les médias l’ont notifié, et cela même si ce n’est jamais précisé dans le film ; elle n’est jamais définie par son identité de genre, mais par ses fonctions et son rapport avec De Röller ; même si le personnage a été construit en cours de film, son absence aurait amoindri le développement du personnage principal. En réalisant ce test, on comprend assez rapidement que son existence est reliée au protagoniste. Elle lui apporte de la douceur, comme le font les raerae, une intrigue amoureuse au sein d’un conflit invisible. [...]

Le film arbore une mise en scène assez sobre, en champ contre-champ, plan large ou rapproché, fixe. Sur le tournage, Albert Serra va jusqu’à utiliser trois caméras pour capturer l’imprévisible. Il laisse les acteurs libres dans leurs mouvements et dans leur parole. Le cadrage nous place en tant qu’observateur d’une situation. Les corps ne sont pas objectifiés par des gros plans, et même les séquences au Paradise Night ne représentent la nudité qu’au sein d’un décor plus large. Il en va de même pour Shannah. Elle est filmée dans des cadres assez large, souvent en contre-plongée pour insister sur sa force de caractère. Ses tenues vestimentaires changent en fonction des lieux dans lesquels elle évolue. Robe coloré à l’hôtel pour plaire aux clients, tenue plus sobre et décontracté lorsqu’elle semble superviser les répétitions du spectacle de danse traditionnel, à nouveau en robe un peu plus à découvert lorsqu’elle accompagne De Röller.

Pendant une discussion avec le Haut-Commissaire à la fin du film, Shannah sort sur sa terrasse, le torse nue, les bras croisés. Elle dissimule ses traits masculins, son absence de poitrine, comme une femme cacherait ses seins. Shannah possède un rapport à l’intime important, elle ne souhaite pas se dévoiler. Toutefois, le fait de sortir torse nue de chez elle, avec De Röller, nous laisse comprendre qu’ils ont possiblement couché ensemble (comme l’a soulevé Benoît Magimel à Pahoa Magahafanau lors du tournage). Shannah refuse de se dévoiler au spectateur, contrairement à d’autres personnages féminins, comme la DJ du Paradise Night qui mixe torse nue. Shannah contrôle son image et le film la respecte. Elle arbore une féminité propre aux raerae, poussant par la même occasion certains stéréotypes de la féminité. Changer d’identité, c’est endosser une forme de conformité des stéréotypes du genre opposé, comme le déclare Emmanuel Beaubatie dans son ouvrage Transfuges de sexe.

En imitant le genre, le travestissement révèle implicitement la structure imitative du genre en lui-même, de même que sa contingence. Judith Butler

Shannah porte des robes, des bijoux, se met en valeur, pour sa personne, mais aussi pour plaire aux hommes, ceux de sa clientèle (le portugais) ou ceux plus important (De Röller). Au final, plus qu’une transgenre, Shannah est une femme.


L’émancipation de Shannah

De Röller, le protagoniste de Pacifiction, est le reliquat d’un colonialisme latent en Polynésie française. Durant l’ensemble du long métrage, Benoît Magimel interprète un personnage fière de lui, exerçant sa supériorité sur autrui à plusieurs moments du film. Il fait semblant d’être l’ami de tout le monde, mais n’hésite pas à remettre en place ceux qui tente d’aller contre lui. L’ambiance qui pèse sur l’île l’amène à se méfier d’autrui, à devenir plus violent dans ses propos, révélant une personnalité plus vile. Parmi ses ennemis, un Américain qui ne cesse de survenir dans le film, figure mystérieuse dont les projets restent flous. En arrière-plan, le film raconte cette lutte de pouvoir, entre plusieurs puissances, pour le contrôle militaire et stratégique de Tahiti. Un conflit qui écrase la culture tahitienne, réduisant ses habitants à des dommages collatéraux. Tout est réfléchi pour le bien être du touriste, de l’étranger qui vient en vacances ou à des fins politiques. Ces personnages sont français, portugais, américains, politiciens, auteurs ou militaires. Chacun à leur manière, ils exercent une forme de pouvoir sur la population tahitienne.

Au sein de ces jeux de pouvoir, l’objectif de Shannah peut sembler flou. D’abord figurante, puis intérêt amoureux de De Röller, elle devient sa secrétaire, puis son bras droit. Tout semble indiquer que le Haut-Commissaire exerce un contrôle sur elle. Pourtant, la mise en scène du film semble indiquer une émancipation de sa part, comme si elle creusait sa propre voie. [...]

Afin d’en savoir plus sur l’histoire du passeport perdu par le visiteur portugais, De Röller rejoint Shannah à l’accueil de l’hôtel pour en savoir plus. Le jeu improvisé propre aux films d’Albert Serra mène les deux protagonistes à traiter évasivement de la situation. Shannah explique que le portugais a fini par se calmer, et De Röller essaye de savoir si ce dernier n’aurait rien dit de plus par rapport à cette affaire. Les deux sont filmés en champ contre-champ dans des plans rapprochés. Shannah est mise en valeur par une légère contre-plongée, ce qui positionne De Röller dans un rapport de dominé. Pourtant, c’est lui qui mène la conversation, les bras accoudés sur le comptoir de réception, costume blanc et lunettes noirs. Il sort son jeu de séducteur, comme pour obtenir d’autres renseignements de la part de Shannah. Cette dernière maintient ses positions tout en se laissant charmer par le Haut-Commissaire. De Röller souligne l’aspect mystérieux de Shannah et la complimente sur sa bague. Il finit la conversation en demandant les coordonnées de Shannah soi-disant pour l’enquête. Elle propose alors d’ajouter son adresse, ce que De Röller ne refuse pas. Il se met ensuite à chuchoter pour réitérer sa demande d’information, de façon plus intimiste. Les deux personnages sont alors cadrés sur le même plan. De Röller promet de rappeler Shannah pour obtenir plus d’information, mais son objectif semble être tout autre. Bien que la romance ne soit jamais confirmée par le film, la séquence rappelle les clichés du film noir, dans lequel le détective drague la femme fatale. Chacun obtient quelque chose de l’autre. De Röller gagne une conquête amoureuse, et Shannah infiltre les secrets politiques du représentant de l’État français.

Plus tard dans le film, alors que De Röller commence à devenir de plus en plus paranoïaque, il se met à éprouver de la jalousie. Son contrôle sur l’île lui échappe, de même que celui qu’il pense exercer sur Shannah. En effet, un soir de pluie, il la retrouve chez elle avec le portugais. Ils discutent ensemble de l’affaire désormais réglée du passeport perdu. La mise en scène de la séquence semble parodier la pièce de William Shakespeare, Roméo et Juliette. Shannah est sur sa terrasse couverte, en hauteur, alors que De Röller reste sur le palier, en contrebas, sous la pluie et dans l’obscurité. Il ne cesse de l’interroger sur la présence du portugais, ce qu’ils font, quand il va partir. Shannah répond sans aucune certitude. Il semble pris de désarroi, mais maintient son sérieux en présence du portugais. La mise en scène met en avant la supériorité de Shannah sur De Röller, les opposant par leur disposition sur le décor. Bien qu’elle soit devenue sa secrétaire, et qu’une relation amoureuse semble s’être développée entre eux, il ne la possède pas, elle est libre.

Le lendemain, De Röller retrouve Shannah chez elle. Cette fois-ci, il est sur la terrasse avec elle. Une fois de plus, la mise en scène la met en position de dominante. Le Haut-Commissaire est couché sur une chaise en plastique, chemise entrouverte découvrant son torse nu, un carnet à la main. Il est filmé en plongée, tourné au ridicule. Shannah le fixe, debout, mise en valeur à nouveau par une contre-plongée. Il ne cesse de lui répéter qu’il contrôle toute la situation, et que ses ennemis vont finir par tomber. Shannah ne cherche pas à le contredire. Elle semble l’admirer. De Röller fait tout un laïus à Shannah pour lui expliquer qu’elle est son bras droit, celle qui le remplacera pour prendre ses ennemis par surprise. Il perçoit en Shannah une prolongation de son pouvoir, comme s’il la contrôlait. En la comparant à une lionne, De Röller confirme l’émancipation de Shannah. Le champ contre-champ les retranchent chacun dans l’énigme de leurs ambitions et leur relation incertaine tend à prouver qu’ils évoluent chacun dans une direction différente tout en s’entraidant indirectement. Sur le plan de la mise en scène, c’est lui qui est au plus bas. D’une certaine manière, c’est lui qui offre son pouvoir à Shannah, mais c’est elle qui est venue le conquérir en s’immisçant dans sa vie, ses affaires. Désormais, comme une lionne, elle surplombe sa proie, son gibier (terme que De Röller utilise pour désigner ses ennemis). Cette séquence représente un couronnement, une passation de pouvoir. Une place que Shannah a gagné grâce à sa propre ambition. Elle reprend symboliquement le contrôle de Tahiti aux mains du représentant de l'État français.


Pahoa Mahagafanau interprète une protagoniste transgenre, déconnecté des problématiques liés aux raerae ou aux māhū. Elle incarne une figure féminine ambitieuse, dans un environnement majoritairement masculin. Pacifiction joue avec des codes de genre cinématographiques, comme le film d’espionnage ou le film noir, pour mieux subvertir son propos. Au sein de cette histoire d’homme, c’est Shannah qui domine. Sa prise de pouvoir est figurée par une caméra qui cherche constamment à la mettre en hauteur par rapport à ses interlocuteurs, sans l’objectifier. Elle représente une force calme et patiente, proche de sa culture tahitienne.

La fin de Pacifiction vient mettre en retrait la plupart des personnages afin de s’intéresser à la chute paranoïaque de De Röller. Une perte de pouvoir qu’Albert Serra figure par un voyage psychédélique et contemplatif, nous faisant perdre tous repères. Shannah est encore visible sur quelques plans, en retrait, à nouveau comme une figurante. Elle laisse De Röller sombrer dans son échec mystique. Une fin plutôt sombre semblant laisser le contrôle de l’île aux ennemis du représentant de l’État français. Toutefois, en ajoutant Shannah à son projet, Albert Serra amène un nouvel espoir pour le peuple tahitien. En remplaçant De Röller, elle offre la possibilité à son peuple de reprendre le contrôle de Tahiti.

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le 13 déc. 2023

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