J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre, durant plus de deux heures trente, les "tourments" de Benoît Magimel. Jouant un haut-commissaire, Mr. De roller, au quotidien paraissant si ennuyeux et protocolaire, consistant à prendre soin de son réseau, à discuter sans cesse pour ne rien dire et avec tout le monde. Et puis, des rumeurs sur la mise en place en secret de nouveaux essais nucléaires français sur les côtes de Tahiti, dont la beauté dans le film est vraiment magnifiquement retranscrite, va un peu bouleverser sa routine.

De Roller, tout le monde l'écoute, et c'est comme si tout le monde faisait semblant de le respecter, par pure courtoisie. Même quand il dit n'importe quoi sous ces grands airs, et pense être celui qu'il n'est pas. Le malaise lors de son discours pour son amie écrivaine m'a beaucoup fait rire. Avec son costume blanc immaculé qu'il ne quitte pas du film, il fait souvent tâche au milieu de plans riches. Il paraît vraiment parachuté dans ce département dont il ne connaît pas grand chose, totalement déconnecté qu'il est.

Pourtant il fait de son mieux, discute, sympathise, donne son avis sur tout, s'y connaît sur tout, même quand il donne des conseils sur l'interprétation dansante d'un combat de coq, métaphore des interêts diplomatiques qu'il défend et de ceux qu'il combat, enfin, plus ou moins.

Le début du film, tranquille, viens à être bouleversé par la puissance d'enjeux qui apparaissent soudain au fil d'une conversation, alors qu'ils étaient jusqu'ici lointains.

Cette discussion arrive juste après la magnifique scène des surfeurs, servant de séparation entre les deux parties du film, et étant une scène d'une beauté immense à mes yeux, le genre de scène qui te donne envie de retourner au cinéma rien que pour la revoir.

Ces enjeux donc, contrastent avec les petites discussions anodines de la première partie, et créent une tension qui restera dans l'air jusqu'à la fin. La drôle d'ambiance du début où tout le monde se regarde paraît assez anodine, on se dit que c'est banale dans les petites communautés, où tout le monde sait quelque chose que l'autre ne sait pas, tout le monde a ces ragots et ces non-dits. Jusqu'à ce qu'elle se transforme en paranoïa ambiante.

Tout d'un coup, la courtoisie du cercle se transforme en conflit d'interêt, et on ne sait plus à qui faire confiance. De son entourage patibulant, on ne sait plus qui sont ces amis, et si il en a même vraiment, rien qu'un seul. On se prends de compassion pour lui, il paraît vraiment seul au monde, et il est le seul à s'entendre parler. Au début, il a l'air inutile, finalement, il l'est, mais en plus, il est impuissant, et c'est comme si l'absurdité de son poste s'étoffait tout le long du métrage.

Je pense que l'idée de faire improviser les acteurs durant tout le film était vraiment bonne. J'ai beaucoup aimé le réalisme des discussions, naturelles et maladroites. Je crois que j'ai rarement vu un film avec des dialogues aussi réalistes. En vrai dans les films que j'ai pu voir, souvent, qu'importe le genre, je trouve que les dialogues sont beaucoup trop joués et ne correspondent pas du tout à comment les gens parlent dans la vraie vie (ce qui est rarement gênant d'ailleurs), et à vrai dire je n'avais jamais trop remarqué ça jusqu'à ce film, qui diffère sur ce point.

Niveau casting, tout le monde est parfait. Benoît Magimel j'ai toujours trouvé qu'il avait une sacrée gueule et qu'il était super intéressant, mais il a rarement eu des rôles lui permettant de dévoiler tout son talent à mes yeux. Avec ce film et Incroyable mais vrai, cette année 2022 lui a vraiment bien réussi. Les autres actrices et acteurs, quasi-toutes et tous inconnu.es d'ailleurs sont dans leurs rôles. Je trouve notamment Pahoa Mahagafanau étincelante et j'ai beaucoup aimé Matahi Pambrun aussi même si on le voit peu, deux talents que j'espère revoir un jour au cinéma.

Le film est d'une technicité parfaite, sans en faire des tonnes qui aurait pu le rendre artificiel et nous éloigner de son ambiance. Une ambiance difficile à qualifier tant d'un côté elle penche dans l'iréelle et le rêve sur cette île paradisiaque, tant elle reste de part le réalisme du film aussi assez terre-à-terre à mes yeux. Chaque plan est soigné, la photographie est magnifique, le son aussi et la prise de son que j'ai trouvé très réussi même dans les scènes bruyantes, dans un avion ou un bateau par exemple.

Pour finir, je pense avoir eu un peu de mal à embrasser totalement la couche plus politique du film, étant beaucoup plus emporté par l'évolution de De Roller . Forcément avec un titre pareil, dont la définition même explique la volonté du film, difficile de passer à côté et les messages sont quand même assez évident pour que je prenne la peine de les décrire ici. J'ai quand même beaucoup aimé la dernière scène, tricolore puis ensanglantée.

Je pense hésiter un petit moment entre 8-9-10 et je laisse le temps faire son oeuvre, puis au pire on s'en fout un peu de la note.

C'est tout naturellement mon film préféré de l'année 2023 et risque de le rester un petit moment.

chronically
9
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le 25 janv. 2023

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chronically

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