Jerry Schatzberg frappera très fort deux années après (1973) avec L’épouvantail pour lequel il remportera la palme d’or. Dans The Panic in the Needle Park, on en retrouve certains aspects : un regard réaliste sur les marginaux, une manière discrète de filmer, le fatum s’abattant sur les personnages. Cependant si le premier raconte une histoire en cherchant à être réaliste, l’autre filme la réalité en cherchant à raconter une histoire, ce qui malheureusement ne marche pas vraiment.

Le cinéaste Américain, s’inscrivant dans le nouvel Hollywood, quitte les studios pour filmer la ville en prenant son pouls, en suivant ses artères, en se cachant dans ses recoins sombres, en écoutant tous ses bruits, en attendant sur ses bancs publics, en se glissant dans les cafétérias et surtout en s’enfermant à plusieurs dans des bouges où les protagonistes deviennent des bras, les aiguilles qui les piquent et l’héroïne qu’elles y envoient. Cette scène, quasi documentaire, a de quoi choquer : le premier shoot (réputé irréversible, fatidique) filmé en gros plan est réel, avec un vrai drogué qui se défonce vraiment et qu’on voit se transformer en loque aussitôt que la came fait son effet.

À partir de cette première prise, la communauté de toxicos, dont Bobby et Helen forme le couple de protagonistes (un Al Pacino encore tout jeune, fraîchement sorti de l’Actor’s studio, jouant son propre rôle d’homme gringalet à la fois clownesque, sympathique, attentionné, humain, dans le film petite frappe pleine d’ambition mais conditionnée par ses propres limites ; et une Kitty Winn qui remportera le prix d’interprétation à Cannes, douce et discrète, inconditionnellement amoureuse, prête à se sacrifier pour l’homme qu’elle aime), suivra l’inexorable pente descente du toxico : chômage, pauvreté, déchéance humaine, marginalisation, absence de domicile fixe, vol, prostitution, délation, prison, etc… .

Or, malgré cette succession d’évènements, Jerry Schatzberg relègue au second plan la narration au profit d’un travail à la limite du documentaire (très bien documenté par ailleurs), filmant sans apitoiement ni commisération ses personnages (qui se foutent au fond tout seuls dans leur merde), avec ce regard réaliste rappelant le reportage, n’insérant aucune BO et faisant fi du rythme de son récit, si bien que les faits vécus s’inscrivent dans une syntaxe incertaine assez peu naturelle. À cela il mêle une réflexion personnelle pessimiste sur l’après époque hippie, avec ce couple initialement follement amoureux mais qui tombera en déliquescence et sera incapable d’aimer l’autre, vouant corps et âme à leur exclusif et individuel « amour », l’assouvissement de leur plaisir dépendant à satisfaire perpétuellement.

Un film choc pour cette époque-là.


Marlon_B
7
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le 5 juil. 2023

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Marlon_B

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