Après une introduction symbolique (un corps qui se déploie), le début du film nous présente successivement les trois personnages centraux : Yousef (Bilal Wahib), Lorenzo (Jonas Smulders) et Chloé (Steff Cuijpers) qui sont de jeunes adultes, disons environ 25 ans.


On voit Yousef au milieu d’un groupe où il reste mutique pour une raison qui nous échappe. Les autres le questionnent en vain et il ne semble pas spécialement à l’aise. Lorenzo, lui, est venu voir son frère : dans le parloir d’une prison, il lui annonce qu’il a décidé d’entreprendre un voyage. Quant à Chloé, on la voit assise aux toilettes, entourées de personnes qui attendent visiblement un verdict. Son visage la montre jouant la détermination. Elle a décidé de partir, ce qui nous vaut une scène très tendue avec sa mère.


On retrouve Lorenzo en voiture, faisant une pause sur une aire d’autoroute. On ne sait pas comment les deux autres y sont arrivés, mais ils se croisent aux toilettes où, devant un miroir, Chloé se remaquille. Depuis le début, sa chevelure présente des tresses qui contribuent à son look particulier (tendance décontractée), qu’on devine calculé. On sent aussi qu’elle connaît la dureté de la vie, car elle rembarre immédiatement Yousef qui lui jette un coup d’œil du lavabo sur sa gauche (ce qui ne l’empêche pas de jeter un coup d’œil à son tour vers Yousef). Les deux se croisent à nouveau dehors. Il leur faudra peu de temps pour trouver une sorte d’accord, puisque Chloé a repéré la voiture de Lorenzo (qui, lui, aimerait bien passer inaperçu). Chloé et Yousef vont s’arranger pour embarquer dans la voiture de Lorenzo. Bien entendu, Chloé sait comment s’y prendre avec les hommes, mais il en faudra davantage pour forcer la main à Lorenzo qui, visiblement, cache quelque chose (et même si on ne verra jamais de quoi il s’agit exactement, on imagine aisément). Chloé et Yousef vont tenter de profiter de la situation.


Avec ce film, le jeune réalisateur néerlandais Mees Peijnenburg, nous emmène à Marseille où Lorenzo a rendez-vous. De la ville, nous ne verrons qu’assez peu (quelques petites rues), car le rendez-vous se situe dans un quartier populaire (le genre où la police ne vient que pour ramener le calme, un calme de surface). Lorenzo entre avec sa voiture dans un garage (box individuel), laissant les deux autres se débrouiller avec les jeunes du quartier qui, visiblement, n’aiment pas les nouveaux venus qui font irruption sur leur territoire…


Plus tard, une fois Yousef hors circuit, le duo Chloé-Lorenzo constitué de manière un peu forcée, se retrouve sur un parking à la nuit tombante. Jamais à court d’arguments, Chloé (qui auparavant l’avait suivi) trouve le moyen de convaincre Lorenzo de l’emmener à Barcelone où on l’attend. A Barcelone, on comprend ce que Chloé vient y faire. Après son rendez-vous, on la voit hésiter.


Le film montre une jeune génération clairement en manque de repères. Aussi bien Yousef que Chloé ou Lorenzo, tous trois se montrent incapables de s’en sortir par des projets qu’on aimerait qualifier de classiques (personne n’a dû les inciter à faire des études). Quoi qu’il en soit, ces trois personnages sont déjà à la marge et à leurs yeux, toute occasion de gagner un peu d’argent est bonne à prendre. S’ils ont la notion de la valeur de cet argent, une fois qu’ils en ont ils l’utilisent de manière compulsive (voir Chloé à l’hôtel). Quant à Lorenzo, sans doute trop naïf (malgré sa capacité à trouver un appartement à squatter pour dormir), il se retrouve vite à sec (au point de faire la manche sur une passerelle piétonne). Et pour évoquer une dernière fois Yousef, la rencontre avec les deux autres ne lui a pas apporté grand-chose, rien qui puisse le motiver. Très révélateur en ce sens : son seul contact téléphonique est celui de Chloé.


On remarque aussi que ce film nous montre des représentants d’une génération coincée dans des milieux où la débrouille est la règle absolue, certainement par manque de moyens. Bien évidemment, dans ces milieux, les relations sont difficiles et dirigées avant tout par les rapports de force. La chaleur humaine, la tendresse sont, au mieux, maladroites. Chloé et Lorenzo vont heureusement réaliser que, finalement, leur rêve est d’échapper à leur condition initiale pour tenter de construire leur vie librement.


Le final les montre au bord de l’eau, regarder enfin dans la même direction et échanger des regards (et même des sourires) de connivence et finir par hurler pour libérer leurs envies de liberté.


Le réalisateur nous montre un (des) milieu(x) où la sensiblerie n’a pas lieu d’être. Son film est assez âpre, situé dans des atmosphères assez sombres (même Marseille n’apparaît pas spécialement lumineuse). Il réussit néanmoins à faire sentir ce que ses personnages recherchent (de manière un peu confuse), avec des moments où la musique, douce, fait contrepoids. Il filme souvent d’une manière un peu impressionniste, par touches, enchainant des plans juste séparés par du noir pendant une fraction de seconde. Le temps nécessaire pour faire sentir qu’on passe à autre chose, en évitant le classique enchainement sans transition. Cela donne une respiration particulière au film.


Sans se montrer passionnant, Paradise drifters se révèle assez prenant. Le réalisateur a l’intelligence de laisser les spectateurs-(trices) comprendre au fur et à mesure les tenants et aboutissants de ce qui se joue sous leurs yeux. Il fait sentir l’importance du temps passé ensemble (Chloé et Lorenzo), car il leur permet d’apprendre à se connaître. La connivence qui s’établit est scellée par le partage des épreuves subies. Le casting met en avant de jeunes inconnus convaincants (mention particulière à Steff Cuijpers qui apporte d’étonnantes subtilités à la personnalité de Chloé).


Film vu le 11 décembre 2020 sur la plate-forme du Poitiers film festival

Electron
7
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le 12 janv. 2021

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