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Paraíso
Paraíso

Documentaire de Sérgio Tréfaut (2021)

Le chant, comme antidote à l’âge et à la mort qui vient

Il y a tout d’abord la formidable douceur de la langue brésilienne, qui est déjà comme un chant, avec ses accélérations, ses failles, ses sinuosités.

 Il y a ces chants d’oiseaux inouïs sous nos contrées, faisant résonner leurs trilles sous les ramages des arbres, dans les somptueux jardins de l’ancien palais présidentiel de Catete, à Rio de Janeiro, avant son déplacement à Brasilia.

Il y a ces visages du peuple brésilien, incroyablement métissés, faisant émerger aussi bien la blondeur des descendants d’anciens immigrés allemands que la peau et les cheveux sombres des descendants d’anciens esclaves noirs, arrachés à leurs terres africaines.

En une démarche qui assume ouvertement, à la manière de Patricio Guzman, son caractère à l’origine autobiographique, Sérgio Tréfaut, né à São Paulo le 23 février 1965, et exilé en France, puis au Portugal, à partir de 1975, sous la dictature du maréchal Castelo Branco, expose d’entrée de jeu, en voix off, sa décision de retour au pays, à plus de cinquante ans, et son désir de filmer, dans ces jardins désormais ouverts au public, les rassemblements spontanés de personnes très âgées, entre quatre-vingts et cent ans, qui se retrouvent quotidiennement pour s’adonner au plaisir du chant.

Les airs sont des romances populaires, qui explorent l’amour et les liens amoureux sous toutes leurs facettes. Les visages, marqués mais rayonnant tous d’une singulière noblesse, sont transfigurés par l’exercice du chant, son exigence, le ravissement dans lequel il emporte. La justesse, dans les interprétations, est très diverse, mais donne lieu à une équanime bienveillance dans les applaudissements, même si ceux-ci se font plus appuyés lorsque l’interprète a révélé un art consommé, encore intact. Mais tous ces moments sont incroyablement touchants, même lorsque les stricts canons d’une beauté artistique ne sont pas exactement atteints.

Le montage, s’il fait la part belle à ces moments de chant, intègre des passages de dialogues avec ces passionnés, qui exposent la manière dont cette pratique, souvent retrouvée tardivement, a transformé leur existence. Parfois, ils autorisent la caméra à les escorter jusque dans l’intimité de leur logement, qui surprend par sa précarité et rappelle les intérieurs filmés, en Chine, par Wang Bing. Et l’on mesure mieux, alors, le sauvetage, l’élation, que peut apporter le chant.

Tourné avant la pandémie et après plusieurs longs-métrages souvent récompensés, « Paraíso » se clôt, en épilogue, sur un hommage discret mais très nostalgique à ceux que le Covid a emportés. Il n’empêche, ce documentaire profondément humain, montrant toute la vulnérabilité de l’homme mais aussi toute la démesure autorisée par l’art, gonfle d’émotions et d’espoir. Avec l’envie de reprendre, en la détournant légèrement, l’injonction proférée par Pina Bausch : « Chantez, chantez, sinon vous êtes perdus ».

AnneSchneider
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le 6 nov. 2022

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Anne Schneider

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